Il y a toujours quelque chose d’héroïque à peindre en France aujourd’hui, lorsque l’on a 24 ans, que l’on prend à bras le corps tout à la fois les peintures pariétales de la préhistoire, la peinture matiériste d’un Tapiés, la pop culture, la démesure de Basquiat, l’univers des mangas… et que l’on confronte Homère à Akira Toriyama. Peut-être même que la jubilation est là dans l’affrontement, dans le corps à corps physique avec l’histoire de l’art effrontément revisitée. L’irrespect pour la chronologie est assumé. Le goût pour les raccourcis et les anachronismes mis en avant. L’approche est politiquement incorrecte et très engagée.

Dans ce combat que l’on pourrait qualifier d’ « homérique », le tableau fait office d’arène, de ring de boxe, de champ de bataille. Nicolas Weber n’hésite pas à aller au contact. La matière picturale épaisse sur des supports bruts souvent réemployés témoigne de ces empoignades. Elle en exhibe les traces comme autant de cicatrices et de marques de coups. Si l’on y porte attention, ces stigmates sont la mémoire des gestes qui les ont produits.
Les peintures de 2017 affirment l’héritage primitif. Le support est parfois plus crépi que peint. Plus paroi que tableau. Signe archaïque d’appropriation, l’empreinte d’une main ou de doigts dans la matière renvoie au marquage, à la délimitation d’un espace d’appartenance. Il y a revendication d’un territoire gagné à l’issu d’un assaut – la surface à peindre est une place à prendre, un lieu à conquérir. L’usage de la couleur est radical, souvent sommaire : le rouge, le noir, le blanc, joints à la couleur des supports ou des matériaux utilisés, couleurs de terre, ocres, bistres, bruns, gris.
Les œuvres de 2018 et 2019, sont plus figurées. La gamme chromatique s’élargit, se fait parfois tendre. Le recours aux tissus imprimés – draps d’enfant, nappes, détournés de leur usage premier – introduit une dimension pop, très vive. Ces tissus, choisis pour leur motif à l’impact visuel évident, apportent un fond sur lequel se détachent les formes qui ne sont plus creusées dans la matière.
L’importance des titres révèle la part narrative. Il y a toujours une histoire. L’artiste nous embarque dans un univers précis de créatures, d’enjeux, de références souvent puisées dans les mangas. Dragon Ball, en particulier, est pour lui une source d’inspiration forte tant pour ses personnages qui viennent s’incarner dans le travail que pour la diversité et l’inventivité des situations de lutte mises en jeu. Son intérêt se porte tout particulièrement sur les techniques fictives de combat imaginées par les auteurs japonais. Elles deviennent le sujet de certaines peintures. Le Kamehameha (1) est une concentration d’énergie qui prend la forme d’une boule projetée sur l’adversaire ; Rasengan (2) renvoie au jutsu qui consiste à modeler une sphère à partir d’une grande quantité de chakra, à la mettre en rotation pour réduire l’ennemi à néant ; le Mafuba (3) est un stratagème consistant à emprisonner la cible dans un contenant hermétique. Mais si la référence aux mangas est prégnante, elle n’est pas exclusive comme en témoigne, entre autres, son tableau de Saint Georges et le Dragon (4). Quelle que soit la source, le duel avant tout importe, souvent saisi au moment du face à face avant le corps à corps. Il se traduit formellement par une symétrie approximative qui partage parfois le support en deux comme dans The Last stand (Pain VS Naruto). L’énergie en acte se matérialise.
Le texte s’invite quelquefois dans l’image. A l’instar des nombreuses interjections, exclamations, gros mots, qui ponctuent les bandes dessinées, il participe de l’action. Il l’inscrit dans un présent dynamique. Il lui donne le caractère du vécu. Les mots surgissent littéralement. Ils sont l’expression d’une émotion provoquée par la scène représentée et qui ne peut être contenue. Emotion des acteurs en présence mais aussi émotion du peintre qui se projette dans les histoires qu’il évoque. Par ailleurs, les écrits que l’artiste a produit sur son travail ou les propos tenus n’ont pas une fonction théorique, ils sont principalement descriptifs et narratifs. Ce qui se dit s’expérimente d’abord.

Il y a un formidable appétit de production chez ce jeune peintre. Une générosité dans la pratique qui se traduit par l’épaisseur de la matière triturée, la diversité des formats empruntés aux matériaux d’origine, la quantité des œuvres et leur tendance à envahir l’atelier. Ne rien s’interdire, tout essayer. Ce caractère spontané et prolixe va avec un refus de sacraliser le travail. Il n’y a pas de filtre ou le moins possible. La sélection, s’il y a, s’opère à postériori. Et elle est plus le fait de contingences matérielles que de préoccupations esthétiques. La précarité de certains supports ou leur poids ne les prédispose pas à la conservation. Ils durent un temps, puis sont réemployés ou détruits.

La force du travail vient de son évidente nécessité. Pour Nicolas Weber la peinture permet d’exprimer des rapports de force tout autant que de dissoudre les tensions dans une dépense physique. Ses origines helvético – catalanes expliquent probablement en partie ce penchant naturel pour les situations antagonistes et martiales.
La peinture est un sport de combat qu’il mène sur trois fronts à la fois en cette fin d’année 2019 et début 2020 : au centre d’art l’Arteppes, le Mikado à Annecy, à la galerie Regard Sud à Lyon et à La Vigie art contemporain à Nîmes, dans le cadre du projet Hors-pistes en résonance à la Biennale de Lyon.

 

(1) Kamehameha!, 2018, matériaux divers sur bois, 55X145cm. Le titre renvoie à une technique inventée et mise en pratique par Kamé Sennin, personnage de fiction créé par Akira Toriyama dans le manga Dragon Ball en 1984. Kamé Sennin est aussi le sujet à part entière de deux tableaux de Nicolas Weber : Kamé Sennin, 2018, acrylique et peinture à l’aérosol sur nappe, 160X35cm et Kamé Sennin, 2019, acrylique sur nappe, 130X130cm.

(2) Rasengan!, 2019, matériaux divers sur bois, 204X91cm. Dans l’univers des mangas, le Rasengan est une technique inventée par Minato Namikaze, personnage créé par Masashi Kishimoto dans Naruto.

(3) Mafuba!, 2017, matériaux variés sur bois, 100X200cm. Le titre évoque une technique élaborée par Mutaïto, le maître de Kamé Sennin, pour enfermer Piccolo Daimaō dans le manga Dragon Ball.

(4) L’archange Saint Michel et le dragon, 2019, 122x81cm, acrylique et crépi sur médium.

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