Il est étonnant de constater aujourd’hui que la promotion (le mot est péjoratif on s’en doute) des œuvres, d’art en l’occurrence, se fait d’abord par le filtre impondérable d’internet via les plateformes Instagram, Facebook entre autres. Quasiment la totalité des travaux d’artistes aujourd’hui existent par des reproductions, des images virtuelles, des artefacts, des images numériques, des images pixélisées en somme qui façonnent peu ou prou notre manière de voir et peuvent influencer notre perception et notre comportement, consumériste, vis-à-vis des œuvres d’art. (1)
De la manière dont les œuvres sont photographiées dépendra l’intérêt que l’on pourra avoir de l’œuvre en soi. Problèmes de formats, d’échelle, de matériaux, d’espaces, de lumière, vont se poser pour essayer de se rapprocher le plus possible de l’œuvre originale (le problème est différent, si l’œuvre est en soi numérique dès le départ).
Tous ces problèmes, ces manques de réel, d’orignal d’originaux disons, seront compensés par une louable littérature savante tendant à justifier, à expliciter ces reproductions. Cela va bien au-delà de la simple description détaillée que l’on attend de l’œuvre reproduite. On peut dire que c’est ce que raconte l’œuvre (ou ce qui est raconté de l’œuvre) qui est mis en avant et plus vraiment l’œuvre en soi que raconte l’artiste (pourquoi / comment il fait ceci ou cela etc.).
De fait, on s’explique facilement le pourquoi de la forte présence de cette nouvelle armada de critiques/historiens de l’art/curateurs omniprésents dans tous les recoins des musées/Biennales/évènements artistiques en tous genres, prompts à faire feu de tout bois à l’aide d’une écriture savante ou navrante selon, pour agrémenter les œuvres et justifier de leur drôle d’existence sur internet. S’il fallait que j’aille au bout de mon explication, je n’hésiterais pas à dire que les expositions importantes à caractères disons international organisées depuis une trentaine d’années sont très souvent des expositions à thèmes concoctées par des curateurs.trices pas toujours très inventifs.tives qui utilisent la rumeur ambiante et l’adaptent à des évènements artistiques. Ainsi le tour est joué, le public et les sponsors ne pourront qu’abonder puisqu’ils seront à même de comprendre les enjeux mis en œuvre dans ces expositions. Les exemples sont nombreux. Tout commence me semble-t-il avec l’exposition Paris-New-York (le curateur Pontus Hulten, 1977), il fallait faire comprendre au grand public ignorant l’importance de l’art américain, Paris n’étant plus depuis belle lurette le centre des affaires de l’art contemporain. Vient ensuite Paris-Berlin, puis Paris-Moscou, l’ouverture vers l’est avant la chute du mur, et toujours le marché de l’art qui se déplace subrepticement vers d’autres horizons, Chine et Corée aujourd’hui. Le justificatif de la republication du catalogue laisse à penser: Gallimard et le Centre Georges Pompidou entendent apporter les éléments d’une réflexion critique et pluridisciplinaire qui reste aujourd’hui plus que jamais d’actualité où l’art semble prendre une place de plus en plus importante et où les outils manquent pour appréhender la modernité. Au fil des pages apparait la vie tumultueuse de métropoles phares, avec leurs enchevêtrements d’idées, de rencontres au-delà du commun, qui, sans le savoir, décidaient de nouvelles grammaires, composaient d’autres territoires de l’esprit.
S’ensuivent aujourd’hui toute une série de titres toujours plus ou moins littéraires, subtils et emphatiques pour annoncer telle ou telle Biennale. La dernière en date pour la prochaine Biennale de Venise s’intitule Foreigners Everywhere (sans commentaires), The Milk of Dreams pour la Biennale 2022 (la place des femmes dans l’art), Le palais encyclopédique en 2013 (l’histoire), Illuminations en 2011 (l’imaginaire le retour), All the World’s Futures en 2015 toujours pour Venise. Plus olé-olé la prochaine Biennale de Malte fait très fort avec ce titre incompréhensible bahar abjad imsagar tazzebbug (white sea olive groves) en langue maltaise (?) pour célébrer la paix et l’harmonie entre le nord et le sud… Home Away From Home, la dernière Biennale de Larnaca à Chypre, titre qui se justifie par l’emplacement géographique à la croisée de pays sensibles à proximité, Oxymoron 2023, Biennale d’Albastra en Roumanie, etc. la liste est infinie.
Au-delà de cette énumération je voudrais pointer le problème incontournable concernant justement le recrutement des artistes qui participent à ces évènements internationaux. Par internet bien évidemment. Avec des reproductions pixélisées cela va de soi. Avec des justificatifs écrits intentionnels bien à propos qui iront dans le sens du thème choisi par les curateurs.trices. Je ne veux pas être vieux jeu mais les sélections d’artistes pour participer à des évènements de ce type deux ou trois décennies en arrière en passaient par des visites d’ateliers, parfois scrupuleuses, les œuvres étaient la propriété des artistes, et les artistes n’étaient pas la propriété des curateurs.trices.
(1) Par exemple avec le NFT (Non Fungible Tokens, en français jeton-non-fongible) où il est possible d’être le propriétaire d’une œuvre immatérielle, disponible uniquement en ligne