L’art est-il essentiellement politique ? ou bien
l’art est-il occasionnellement politique ? ou encore
l’art est-il nécessairement politique ?
Ce sont des questions que je (me) pose souvent ; trop de drames, de souffrances,
d’indifférence, de mauvaise foi, un génocide au vu et au su de tous et pourtant
ignoré.
Sur les trois marches d’entrée qui permettent d’accéder aux salles du Kunstmuseum
sont inscrites les phrases :
For there are traumas so defining that to move on would be a betrayal
For there are damages so decisive that they can only be left as inheritance
For there is grief so dumbfounding that it can only be told in fragments
(car il existe des traumatismes si marquants que les surmonter reviendrait à se trahir
soi-même
Car il existe des blessures si profondes qu’elles ne peuvent être laissées qu’en
héritage
Car il existe un chagrin si abasourdissant qu’il ne peut être raconté que par
fragments)
Le Trondheim Kunstmuseum en Norvège proposait du 4 avril au 31 août 2025 une
exposition de groupe intitulée Passing Motherhood, à laquelle participait l’artiste
Basma Al-Sharif, cinéaste, née au Koweit en 1983 de parents palestiniens, et qui vit
et travaille aujourd’hui à Berlin.
Le travail réalisé pour l’exposition reprenait les thématiques chères à l’artiste,
histoires de peuples, de conflits politiques, de guerre, héritages du colonialisme.
L’attachement, la séparation, l’exil, la nécessaire reconstruction.
Il se développait en trois parties.
La première pièce, Morning Circle, 2025, est une vidéo de 20 mn sur le thème de la
perte. Depuis la première expérience de séparation jusqu’à la violence associée à
l’intégration dans le nouveau pays d’accueil lorsqu’on ne peut plus vivre dans son
propre pays. Nous suivons un père et son fils dans leur nouveau quotidien alors
qu’ils se préparent à commencer leur journée, l’école maternelle où l’enfant ne veut
pas rester, refusant d’être séparé de son père, sourd à toute tentative de
l’enseignant de l’intégrer dans le groupe des autres enfants.
La deuxième pièce présente les rush de son film Ouroboros tourné en 2017 et filmé
par Yasser Murtaja à Gaza ; ils serviront de mise en scène pour le film Morning
Circle. En incrustation à droite apparaît en transparence l’image vectorielle de la
Pietà de Michel-Ange tandis que sur la gauche apparaît selon le même procédé une
femme palestinienne portant le corps drapé de sa nièce morte, photo de
Mohammed Salem.
La troisième pièce est constituée d’une pluralité de matériels :
Des captures d’écran de Palestiniens qui retournent dans le nord de Gaza, (janv
2025 Bbc News),
Les repérages des lieux pour le film Morning Circle,
Un texte du psychiatre et psychanalyste J. Bowlby, intitulé Angoisse de séparation,
dans International Journal of Psychoanalysis,
Sept photographies digitales en couleur, dans les coulisses du tournage de Morning
Circle.
Le travail est dense, les images semblent tourner en boucle puisque chacune des
parties reprend ou contient des éléments des deux autres, il y a comme un écho,
une vision sans fin d’une même situation se reproduisant à l’infini quels que soient
les latitudes, les lieux, les périodes. C’est aussi comme un puzzle dont on possède
quelques pièces, suffisamment pour nous permettre une reconstitution.
Basma al-Sharif est représentée par la galerie Imane Farès, 41 rue Mazarine, Paris (6ème)
www.imanefares.com