Cela vous est-il arrivé de vous balader, voire de musarder, çà et là, dans les replies de nos métropoles, sans être distrait, peut-être dérangé (non je n’ai pas dit agressé parce que l’agression c’est quelque chose qui arrive sans prévenir tandis que là on ne s’en rend absolument plus du tout compte tant les habitudes nous contraignent et nous bercent de leurs longs sanglots monotones) par des monticules de messages, des monticules de mots, des monticules d’aphorismes, à la fois mots d’ordre et mots à la dérive, placés toujours bien en évidence le long de nos parcours streeteux hasardeux et téméraires, et ce pour mieux nous racoler et nous emmener là où on n’a jamais envie d’aller. A moins de le faire exprès, d’être analphabète ou de débarquer d’une autre planète, qu’on le veuille ou non, ces invectives signalétiques aux lendemains poreux sont tenaces pour retenir nos regards distraits tout compte fait facilement malléables.
Comment vais-je réagir devant ces charmantes inscriptions vantant les délices de nos garde-mangers genre « chez Pépone la pizza est bonne » ou « aux Sushi sans chichi » ? ou devant ces kilomètres d’enseignes publicitaires  designées (désignées) comme Nespresso-Decathlon-Quick-Armani-Canon-Ford-Air France-Sony-Coca-Apple ? ou devant ces incipits anonymes pour la plupart, drôleureux ou malheureux, licites, légitimes, transgressifs, comme « Faites l’amour pas les magasins », ou « Trotski tue le ski », ou encore « Après Marx-Avril », ou encore « La vulgarité a ses raisons que la raison s’en bat les couilles », ou encore « Je joue oui » ou « je t’aime temps » de la graffeuse Miss-Tic, ou encore « Niqué Vaux Maire », ou « Paradis pour les uns pas radis pour les autres », ou « Nothing Sacred », ou « Spankme », ou « Fukushima Flowers », ou « Culsuruncul » (tiens à propos le Louvre-Fiac viens d’interdire la sculpture de Van Lieshout « Domestikaror » aux Tuileries jugée scandaleuse), ou « Forever Young », ou « On revient on est aux champignons », ou « Œdipe a dit la sortie c’est paricide », ou « Tu ne me vois pas car je suis dans le futur », ou « Rendre à l’art la simplicité de ne pas l’être »… Oui les mots sont partout, sur la peau de nos corps aussi, comme le poème hommage tatoué sur l’avant-bras de la chanteuse Pink «A time to weep, a time to laugh, a time to mourn, sleep in peace my darling i love you » (un temps pour pleurer, un temps pour rire, un temps pour faire son deuil, dors en paix mon chéri je t’aime) pour son cher chien Elvis mort en 2007 ! Et pourquoi pas vous me direz ! Echappant aux discours dominants et aux pouvoirs en place, ce débat de mots qui s’affiche dans les moindre recoins de nos espaces de vies, nous donne à entendre « les voix d’acteurs anonymes et inaudibles longtemps considérés d’une manière dépréciative comme faisant parti de la sous-culture ou du vandalisme ». Tous ces dictons-poèmes-aphorismes-haïkus publicitaires, placés publiquement comme ils sont placés, tendent (tardent ?) finalement à se revendiquer comme des œuvres d’art, et, d’une certaine manière, en regardant de plus près les artistes ayant travaillés avec les mots, comme le collectif d’artistes Art and Language (nous y voilà), Ben, Weiner, Barry, Indiana, Kosuth, Holzer etc. ont compris le truc avant tout le monde, sans oublier les novateurs en la matière, en l’occurrence les deux grands photographes Walker Evans et Brassaï.
Indubitablement  l’écriture et la photographie ont toujours fait bon ménage. L’un colle à l’autre comme le chien à son maître, dixit la définition de la photographie : photos=lumière, graphie=écriture.
C’est ce que nous démontre l’artiste italienne Chiara Pergola lors de son exposition à la galerie Dislocata (associazionewunderkammer.it) à Vignola, province de Bologne (aussi à la Chambre Blanche à Québec, Canada, et au Spazio Rad’Art  Mercato Saraceno en Italie) intitulée judicieusement ou ironiquement « Parжour », la lettre cyrillique ж se prononce « J » en russe, ce qui nous donne en français Parjour, ou plus exactement Parjure… et pas du tout parcours, ce qui change la donne bien entendu ! Parjure, c’est-à-dire faux témoignage, faux serment !
Les photos de Chiara Pergola ne nous montrent jamais ce qu’elles pourraient nous dire, elles prêchent le faux pour nous dire le vrai, mais quel vrai ? Experte en mots croisés ou en mots fléchés, l’artiste nous conduit (nous éconduit devrait-on dire) par le biais d’une stratégie toute photographique (le collage) sur des chemins de traverse parce ce que ce que l’on devrait voir n’a rien à voir avec ce qui est montré!
Chiara Pergola opère comme une entomologiste de la rue, elle prélève çà et là au détour des chemins de traverse, scrupuleusement, avec ses photos, toute une série de bouts de mots pour les recomposer ensuite selon une logique littéraire appropriée (on pense ici à l’artiste John Baldessari avec ses suites de photographies California Map Project de 1969).
L’acte de voir est détourné au profit d’un acte de lire. Palimpseste judicieux, la sémantique photographique de Chiara Pergola joue son rôle de fossoyeur, parce que ce qui est à voir, à lire, à déchiffrer, se cache, se trame derrière (entre) les arcanes sinusoïdaux de ses photographies.
Peut-être des partitions pré-textes à l’écriture ? ou bien des incipits anonymes, licites, légitimes et transgressifs ?

(ce texte endommagé par des problèmes techniques publié en 2018 est de nouveau mis en ligne)