Le DK Zattere à Venise inaugure une nouvelle saison d’activités qui a commencé le 23 novembre 2019 et se prolongera jusqu’au 29 février 2020. Toujours fidèle à la vocation première des Dom Kultury, Maisons de la culture russes à la fois lieux de rencontres, d’expositions, espaces de création, de théâtre, de concerts, de cinéma etc. (voir l’article publié en février 2019 et intitulé ProletKult), le Dk Zattere propose un intéressant parcours qui interpelle aussi bien le Vénitien sur le devenir de sa ville que le citoyen du monde sur le devenir de la planète.

Pour donner un aperçu de la programmation en cours, le ciné-club propose trois cycles thématiques dont le premier Appena prima del futuro (juste avant le futur), s’oriente sur les thèmes de la transition, de la rupture, de la disparition, fin d’une époque ou événements historiques qui conduisent à de grands bouleversements.
Un des films au programme de ce ciné-club mérite une mention toute particulière, Adieu à Matyora film russe des années 80 du metteur en scène Elem Klimov qui relate l’histoire d’un petit village situé sur une île, que les habitants sont contraints de quitter car leur village est condamné à être submergé par les eaux pour permettre la construction d’un lac artificiel qui alimentera une centrale hydroélectrique.

Ce film d’une incommensurable dimension humaine et poétique fait écho à l’exposition de la fondation dont le thème central est intrinsèquement lié à l’eau, suggéré par des installations sonores.

La première qui servira d’ailleurs de fil conducteur à toutes les salles d’exposition est celle de Vladimir Rannev compositeur contemporain russe (né en 1970) qui réinterprète dans sa pièce musicale, l’opéra en quatre actes de Nicolai Rimsky Korsakov créé en 1907 et consacré à la légende de la cité engloutie de Kitej, surnommée l’Atlantide russe. Dans cette légende, pour échapper aux invasions mongoles qui miroitent de s’approprier cette ville enchanteresse, les habitants sans défense prient pour que leur soit donnée la possibilité de défendre leur ville. C’est ainsi que surgissent de la terre des fontaines qui submergent totalement Kitej engloutie à jamais dans le lac Svetloiar. Dans l’opéra de Korsakov la ville de Kitej est rendue invisible à l’ennemi grâce à un brouillard doré qui s’étend sur le lac et l’enveloppe totalement tandis que les cloches de l’église se mettent à sonner doucement toutes seules.

On retrouve à la fin du film d’Elem Klimov une référence évidente à la légende, dans la séquence où les hommes venus en bateau chercher les derniers habitants du village de Matyora dans l’intention de leur faire quitter l’île de force, se perdent sur le lac soudain envahi d’un épais brouillard qui anéantit tout repère géographique et temporel et les empêche d’atteindre l’île rendue invisible.

Mais revenons à l’exposition et à la déambulation du spectateur/promeneur qui traverse des salles vides ou sommairement meublées, guidé constamment par la musique de Rannev.

Une seconde installation sonore de Maria Molokova, plus intimiste celle-ci, invite le public à écouter confortablement installé dans les fauteuils d’une salle plongée dans la pénombre, un enregistrement de sons aquatiques provenant d’un bassin hydraulique construit en Russie dans la seconde moitié du 20ème siècle et pour lequel de nombreux villages et terrains avaient été immergés aux environs de la ville de Samara. En promenant une pierre magnétique transmettant l’enregistrement sur différentes zones des tempes, du crane, la boite crânienne devient alors une caisse de résonance qui interfère sur les bruits enregistrés et les modifient.

Reconstruction, reconstitution à partir d’éléments mis à disposition – comme cet ensemble de peintures de différentes périodes, avant-garde russe, réalisme soviétique, futurisme – des liens qui unissent des lieux présents ou passés, réels ou fictifs, des époques historiques ou mythiques. Le spectateur qui détourne le regard vers l’extérieur, à travers les grandes fenêtres donnant sur le Canal de la Giudecca saisit à quel point l’œuvre se prolonge hors les murs. Il y a dans cette exposition quelque chose de profondément baroque, la présence de la musique, liée à la présence de l’eau, liée à la présence de la mythologie, dans un jeu de plein et de vide, de souffle et de respiration.