Autour d’un chocolat chaud, d’un thé et d’un Coca Cola, Paris, rue des Filles du Calvaire, samedi 3 février, 18 heures

Miko Mikado : Qu’est-ce qui nous a plu dans ce travail de Goran Skofic On the Beach ?

j.f. Yorobietchik : La scénographie, une seule chose est montrée, la vidéo qui occupe tout le mur face à l’entrée, on entre dans cet espace, on est tout de suite capté.

Miko Mikado : On peut d’ailleurs la voir depuis l’extérieur à travers la grande fenêtre et la porte vitrée. Cette fenêtre sur un ciel bleu, parce que de l’extérieur c’est ce qu’on voit, comme un immense ciel bleu à l’intérieur de la galerie. Une image inversée.

j.f.Yorobietchik : Dès qu’on entre on est dans l’espace filmique, l’espace de la narration…

Miko Mikado : Nos ombres en s’avançant vers l’écran s’interpose à l’image.

Pim Enveert : Ah non, je ne parlerais pas de narration, il n’y a pas de narration, il n’y a pas de début, pas de fin, l’œuvre est en boucle pendant 20 minutes…

j.f.Yorobietchik : Ben si, il y a des sujets, des personnes qui avancent vers la mer et qui rentrent dans l’eau tout habillées, donc il y a une narration.

Pim Enveert : Le fait qu’ils sont habillés avec des tenues de ville donne une dimension métaphorique.

Miko Mikado : Moi j’ai pensé aux réfugiés qui partent de chez eux avec leurs simples vêtements, sans bagages, qui vont confiants vers une terre inconnue et prometteuse, ils sont confiants ils rentrent dans la mer sans l’ombre d’une crainte, et ils avancent vers le large jusqu’à ce qu’ils disparaissent.

J.f.Yorobietchik : Ah moi je n’y ai absolument pas pensé, mais alors pas du tout ! je crois qu’il faut se méfier des contenus, ils disent vite ce qu’ils ne sont pas, comme le disait Eisenstein, « à cause du contenu, on ne fait jamais attention à la forme ».

Pim Enveert : Ah, moi non plus, vu la nonchalance des personnages, la sérénité dont ils font preuve, ça ne peut pas être des immigrés.

J.f.Yorobietchik : Eh puis dans le film tous les figurants sont habillés à l’européenne, de façon disons moderne, c’est ce qui étonne, rentrer dans l’eau de mer habillés comme ça, l’air de rien.

Pim Enveert : Moi je dirais plutôt que le travail a un côté burlesque, mais un burlesque becketien, un burlesque pas rigolo, pas comique.

J.f.Yorobietchik : Extravagant plutôt, au premier regard de voir ces personnes anonymes aller vers un lieu précis, connu seulement d’elles-mêmes, pour dire en fait l’échec de quelque chose, l’échec du sens ?

Pim Enveert : C’est intéressant ce fait de la répétition, la répétition d’une action d’un corps élémentaire avec des variations très légères, c’est Raymond Devos qui parlait de ça à propos de son travail, c’est un élément crucial de la contemporanéité, la répétition qui donne cette sensation d’étrangeté, car tous les participants ont des comportements du quotidien, comme s’ils allaient au supermarché alors qu’en fait ils accomplissent un acte.

J.f.Yorobietchik : Oui, l’idée que les choses tournent à vide, sans échappatoire, sans but, le but de l’art ?

Miko Mikado : Les réfugiés ne sont pas forcément des Noirs ou des immigrés pauvres, beaucoup sont comme toi et moi, ils avaient chez eux un métier, journalistes, enseignants… des gens habillés comme tout le monde, accomplissant les actions quotidiennes de tout le monde.

J.f.Yorobietchik : Ça pourrait être une référence à la peinture allemande, à Caspar David Friedrich, les gens sont de dos, devant un grand paysage. On est assimilé à ça, pénétrer dans l’image, s’y perdre etc.

Pim Enveert : Plutôt une parodie de l’élément sublime de la mer… dans l’histoire de l’art, dans le romantisme, la mer est associée au lyrisme, alors qu’ici le lyrisme est absent.

Miko Mikado : Oui ça c’est intéressant, l’absence totale de drame. Bien qu’ils accomplissent un acte irrémédiable, rentrer dans l’eau pour s’immerger totalement et se laisser engloutir, il n’y a à aucun moment de tension dramatique, de pathos, même les personnages qui restent un moment sur la plage, assis sur le sable à regarder l’horizon, ne semblent pas s’émouvoir de ce flux incessant de gens qui entrent dans l’eau tout habillés.

Pim Enveert : C’est l’Apocalypse de St Jean, l’extinction ne provoque pas de drame…

J.f.Yorobietchik : La symbolique de la purification, le baptême, l’immersion…

Miko Mikado : Et en même temps il y a une absence de spiritualité. Une absence de mysticisme.

Pim Enveert : Ça joue avec les archétypes, le Christ qui marche sur l’eau, sauf que là c’est un acte raté.

Miko Mikado : Est-ce que je peux vous suggérer l’opéra de Phill Glass Einstein on the Beach ? après tout, nous sommes dans une structure répétitive fermée qui tourne sur elle-même et de cette répétition naît l’étrange… et en même temps on n’est pas dans une dimension mystique ou sacrée particulière, je pourrais dire que c’est une œuvre totalement existentialiste.

GORAN SKOFIC ON THE BEACH 27 jan – 24 fév 2018
GALERIE DX9
19 Rue des Filles du Calvaire, Paris 3ème.

Pim Enveert / Miko Mikado / j.f. Yorobietchic