Ne regardez pas trop longtemps les ready-made car vous finirez par les trouver beaux, disait Duchamp. C’est exactement ce qui se produit lorsque l’on regarde les deux séries photo montrées lors de cette expo Richard Prince au LACMA, l’une de 2013 Untitled (original cowboy) et l’autre de 2015-16, Untitled (cowboy). La première série à laquelle le spectateur est confronté, selon le sens de la visite, est la plus récente et elle consiste en de vastes agrandissements, de taille de peinture d’histoire, de publicités de la campagne Marlboro Man que l’artiste rephotographie, thème qui occupe l’artiste depuis plusieurs décennies. Ainsi on se retrouve à admirer ces grandes scènes mythiques, ces cowboys plongés dans la nature sauvage, et on commence à regarder l’œuvre comme s’il s’agissait d’un tableau classique, on admire la composition, les cavaliers majestueux dans le paysage, les contrastes de couleurs, les teintes particulièrement fascinantes des atmosphères crépusculaires jaune ou violettes. Il est évident que ces images ont dès le départ une mise en scène très pensée puisqu’elles avaient été créées par les illustrateurs du Time, mais les agrandissements monumentaux de l’artiste accentuent encore la présentation scénique spectaculaire, outre le fait qu’elles rendent le grain du numérique apparent, ce qui paradoxalement donne aux surfaces un effet de matière un peu du genre toile de jute, une texture plastique. Sans oublier les déchirures qui bordent les images car l’artiste rephotographie les marges des pages déchirées des revues, avec les scotchs également pour faire tenir les doubles pages quand c’est le cas. Ces déchirures ne font que contribuer au rendu plastique des ensembles, car elles fonctionnent comme des signes, elles transmettent un sens d’usure, de vécu, d’ancien, donc d’authentique.

Quand on regarde la deuxième série en revanche on ne comprend pas tout de suite où est le propos. Il s’agit là encore de vastes photographies, de paysages désertiques du Utah, mais cette fois prises réellement par l’artiste qui s’est rendu sur place. Les photos n’ont rien de particulier, elles sont même tout à fait banales, elles se bornent à illustrer des vues panoramiques de paysages. On comprend finalement la raison d’être de ces photos uniquement en relation à la série sur les cowboys que l’on a vue précédemment, et par le titre de cette nouvelle série paysagère : « original cowboy ». Il s’agit tout simplement de scénographies possibles pour les cowboys. Mais nous savons évidemment que tout l’univers des cowboys de Richard Prince est celui de l’appropriation et de la simulation, le domaine de la publicité lui-même est dépassé au profit d’une dimension au-delà de la fiction et du réel. Car quand on est face à une publicité on parvient aisément à faire la distinction entre la fiction et le réel, puisque la publicité se dévoile comme telle au milieu de titres et de toutes sortes de para-textes dans les revues ou sur les panneaux. Mais dans l’univers de l’artiste, l’image populaire est idéalisée et absolutisée, à la fois par son format, par l’élimination du cadre contextuel, et par l’exposition dans le white-cube. Dans une telle hétérotopie, les opposés se replient les uns sur les autres, le réel n’est plus possible parce que rien ne le distingue de la fiction, et vice-versa rien ne distingue celle-ci du réel : nous sommes dans le domaine des essences.

Par conséquent les photos de paysages désertiques ne représentent pas des paysages issus du réel. Pas plus que les photos des cowboys sont des fictions de publicité. Nous sommes face à des scénographies en puissance susceptibles d’abriter le passage du cowboy. Les photos n’altèrent en rien le paysage d’origine mais c’est justement pour ça qu’elles signifient que désormais le réel tel quel est une simulation. La simulation, c’est le réel lui-même.