Extrait d’un roman de Nicola Lecca , Il Corpo Odiato, Mondadori, 2005
Inédit en France
Traduit de l’italien par Gérard-Ph Viti
Avec l’aimable autorisation de l’auteur

Gabriele quitte son village des Marches pour venir vivre à Paris (aucun récit de Lecca ne se déroule en Italie). Dans ce journal intime « précis, méthodique et implacable » le très jeune homme livre un combat contre lui-même et surtout contre son imperfection (thème récurrent chez notre auteur nomade) cédant ici au diktat sociétal de la minceur. Il finit par sombrer dans l’anorexie, sujet rarement évoqué au masculin. Difficile d’opérer un choix dans ce très beau roman décrié par la critique italienne mais salué par les suédois qui portent Lecca dans leurs regards et leurs cœurs  de lecteurs.

« La première Suite pour violoncelle de Bach (1) est très exactement ce que j’aurais voulu être. Avant d’être vraiment adulte c’était bien la première Suite de Bach que j’aurais souhaité être : c’était là ma réponse la plus parfaite. Mais ce que je suis devenu, je n’en sais trop rien. Je ne saurais vraiment pas me définir. Lorsque je ne suis pas détendu je ne suis pas porté sur la réflexion. Pourtant aujourd’hui c’est différent. Je crois que c’est grâce à la confiture de pêches au petit déjeuner. Cette douceur exacerbée a du réveiller en moi l’urgence de comprendre. « Chouette! Un peu de sucre ! » a certainement hurlé mon cerveau. Et ces pensées engendrées par les pêches prennent certainement la bonne direction : je la trace sur le papier, je le fais avec précision, d’une écriture qui est perte de temps mais qui, maintenant, en même temps que la Suite pour violoncelle, est la seule forme d’ordre qui prend place dans mon existence (…)
Mais la perfection n’est pas humaine, et il vaudrait mieux que les perfectionnistes s’habituent à regarder de loin la photo de leur vie…… »

(1) Nicola Lecca est un esthète : de 1999 à 2014, tant ses nouvelles que ses romans sont rythmées par des œuvres musicales classiques. Ses goûts s’étendent du « Chant du Silence » à la musique sérielle (Berio, Nono…).
Homme de son temps et découvreur de véritables talents il adore écouter le chanteur britannique Patrick Wolf. Moi aussi ! Pendant des années j’ai proposé mes traductions de Lecca à un grand nombre de maisons d’éditions avec l’aide, d’ailleurs, de Madame Langlumé, professeur d’anglais à Paris 8 et traductrice de l’anglais.
Il a fallu que les romans de Lecca deviennent plus sociétaux pour que la France s’y intéresse : « La Pyramide du café », 2014 chez Balland. La traduction du dernier (qui se déroule à Marseille) : « I colori dopo il Bianco » est en en cours.
Désormais j’aime moins mon cher Lecca, non par amertume mais parce que ce qui constituait son identité s’amenuise.
Il n’est toujours pas traduit en anglais ! 16 langues au total. Deux essais philosophiques directement écrits en néerlandais et en allemand. L’un des deux s’intitule « nous ne savons presque rien de ce qui nous entoure ». Il n’est pas traduit en italien ! Et je ne lis pas le néerlandais ! En Italie jusqu’à 2014 Lecca n’ a connu qu’un succès d’estime. On ne l’invite sur les plateaux de télévision que depuis 2014. Dernièrement avec la grande Dacia Maraini. Histoire de prix littéraire !!!! Le monde de l’édition est de la merde. Seuls certains libraires et – il va sans dire – les lecteurs (de quoi que ce soit) ont mon respect. Je n’achète plus rien chez Acte Sud.