La MEP a lancé en ce début d’été deux expos concomitantes, l’une, rétrospective, sur le photographe Henry Wessel, l’autre, collective, intitulée « Fil noir », montrant des vues de situations urbaines variées qui nous transmettent des sensations de mystère et de suspens. Je voudrais m’arrêter sur deux séries en particulier, l’une tirée de l’expo Fil Noir, l’autre de la production de H. Wessel.

1 – Les Krims. Meurtres et pâtisseries.

 Dans l’expo « Fil Noir » figure notamment une série de Les Krims intitulée « L’incroyable affaire des meurtres aux gâteaux de froment ». Série que l’artiste a réalisée au début des années 1970 en utilisant des photos tirées d’archives de police de meurtres perpétrés par un tueur en série qui signait ses crimes par la présence d’une accumulation de crêpes au sirop d’érable. L’artiste reprend ce motif et met en scène une victime féminine dans un cadre domestique, gisant au sol dans les diverses prises de vue, à moitié nue et abondamment souillée de coulures de sang. Ce qui vient perturber la mise en scène du crime, un punctum particulièrement insistant dirons-nous avec Barthes, c’est la présence systématique de l’accumulation desdites crêpes, empilées juste à côté de la femme, accompagnées de coulures de chocolat liquide qui recouvrent le corps de la victime en guise de sang. Le contenu originel de l’image en tant que scène de violence, disparait, semble-t-il, dans une nappe de chocolat et dans le glaçage du sirop d’érable dont les arômes parviennent presque à envahir notre esprit. Ainsi la victime finit-elle par jouer le rôle d’une figurine en sucre glacé qui servira de farce à cette composition pâtissière complexe, enrobée dans les senteurs chocolatées et dans les douceurs moelleuses de la pâte à crêpes.

2 – Henry Wessel. Mystères à Beverly Hills.

Il est question de la série qu’il réalise dans les années 1990 intitulée « Sunset Park ». Nous faisons face à des photos noir et blanc et prises de nuit, de taille modeste (environ des formats A4), de pavillons d’habitation dans les collines aux alentours de Los Angeles, impeccablement entretenus, appartenant à un milieu aisé et bourgeois. Grandes maisons spacieuses avec jardins bien taillés, les impressions d’ordre et de sobriété qui en ressortent sont accentuées par le noir et blanc et par les prises nocturnes : le chromatisme est très limité et l’homogénéité des surfaces ressort d’autant plus, les murs blancs parfaitement lisses jaillissant des fonds noirs dont nous percevons en contrejour les contours de la végétation comme par découpage sur le fond blanc. Pas âme qui vive dans ces situations d’immobilité et d’épure où tous les éléments semblent figés, comme dans un décor de carton. Plus nous regardons ces pavillons isolés qui se succèdent devant nos yeux dans ces atmosphères invariablement homogènes et mates, plus nous avons la sensation étrange que nous sommes face à des maquettes miniatures, où les différents éléments solides, maçonneries et végétation, seraient en réalité posés les uns à côté de autres dans une apesanteur irréelle. Nous pensons finalement aux maisonnettes miniatures dans les paysages dépouillés de James Casebere, que l’artiste photographie dans les mêmes tonalités de noir et de blanc. Au bout du compte ces pavillons parfaitement bourgeois sont si bien soignés qu’ils risquent à tout moment de se déréaliser dans un espace flottant en carton-pâte.