Françoise Delot Rolando, Garde-robe hors cadre, les motifs du jeu
Galerie La Salle, Evian les bains, du 27/09 au 2/11/2019

Loin, très loin des falbalas de la capitale française, sise tout près d’un lac franco-suisse, s’étire langoureusement l’une des plus célèbres stations thermales dont les mérites de pureté de son eau n’ont d’égal que l’extrême parti pris de son consumérisme international. Les secrets de l’eau d’Evian sont inépuisables tout comme le flux de 11 degrés virgule 6 qui coule en permanence tous les jours de l’année dans l’ancienne fontaine Sainte Catherine ornée d’une mosaïque réalisée par l’artiste Yves Decompoix !
En retrait des festivités aquatiques, d’autres évènements certainement plus proches du quotidien des habitants de cette charmante ville thermale essayent tant bien que mal d’exister et de proposer d’autres flux et autres énergies nouvelles. « La Salle » est un lieu d’exposition  mis à la disposition de l’artiste Aubin Chevallay par la librairie indépendante du Muratore. Depuis peu il propose à d’autres artistes d’y montrer leur travail (peintures, photographies, dessins contemporains) à raison d’environ 5 expositions par an. C’est dans cet espace modeste et charmant attenant à la librairie que les formats discrets mais néanmoins très présents de l’artiste Françoise Delot Rolando sont exposés ici.
Il y va de ces petites choses dont l’utilité prend une place à part. Autant Marcel Duchamp rêvait d’une vie de garçon de café, Françoise Delot Rolando rêve d’une vie de ménagère, de couturière, de repasseuse, de ces petits métiers aux gestes subtils et nécessaires au bon fonctionnement de nos vies passagères. Voir son site, la ménagère en vrac (lamenagereenvrac.tumblr.com)
Pour éviter les paraphrases faciles et les effets de style superflus je voudrais d’abord laisser la parole à l’artiste : « depuis le début des années 90, dès ma sortie de l’école d’art, je réalise des dessins et peintures à l’huile sur du papier de soie que j’encolle sur des vieux draps ou tissus. Choisissant d’être libre, sans châssis ni encadrements… juste épinglé́s sur un fil tel le ferait la ménagère dans son quotidien, parfois je dessine sur du calque au crayon et crayon de couleur celui-ci n’ayant non plus aucune contrainte que celle d’être épinglé au mur ou cousu sur un autre papier. Mon univers parle du quotidien, de mes « paysages » familiers, d’objets, de souvenirs, de reliques ordinaires…

L’instant : dessiner et peindre sur du papier de soie, c’est capturer l’instant. C’est collecter la peau des objets. C’est chuchoter l’épaisseur du vécu et des souvenirs. C’est fabriquer une image qui pourrait être sortie d’un des tiroirs de notre mémoire. Un portrait d’objet sans jamais d’ombre portée. Une trace à peine palpable. Une image fragile que je tente de fixer.

Le papier de soie : la finesse et la fragilité du papier de soie ne permettent ni le gommage ni la surcharge ou surépaisseur de peinture. On ne peut pas non plus revenir sur la couleur. C’est l’instantané du geste qui compte.

La peinture à l’huile : pour fixer l’image, le choix de la peinture à l’huile permet l’encollage du papier de soie après le séchage de la peinture. L’encollage se fait sur le drap ou le tissu. L’aquarelle et la gouache ne le permettraient pas ; la couleur se diluerait dans la colle et l’image deviendrait évanescente.

Le drap : c’est un support aérien. Il fait partie de notre vie, de la naissance à la mort. C’est un objet du quotidien ; il s’accroche sur un fil et bouge dans le vent comme une lessive qu’une ménagère accrocherait dans un champ. L’image n’est alors pas totalement fixe. Parfois, j’épingle ces fragiles images dans des boîtes (les petites archéologies du quotidien, les fragments de vaisselles) elles sont alors capturées ces images, comme des papillons chez une collectionneuse.

Mon rapport aux objets : j’aime parcourir les brocantes et les vides-greniers qui sont de véritables musées de reliques ordinaires. C’est comme ouvrir une armoire dans une vieille maison pour découvrir des fragments de vie. C’est tout ce qu’il restera de nous, des babioles insignifiantes, des vêtements, des chaussures, des tasses, quelques bijoux sans valeurs et de vieux albums photographiques orphelins…

La question de l’éphémère : mon travail devient aussi un objet qui lui ne durera pas dans le temps : la finesse de la peinture, le papier de soie ; ce sont des matériaux qui contrairement à l’huile sur bois ou sur toile enchâssée ne dureront pas dans le temps. Cette question de la durée dans le temps et de l’éphémère m’intéresse. L’éphémère est un papillon qu’on peut épingler dans une boîte à la manière d’une entomologiste. »

A l’image de la galerie, les formats des œuvres exposées ne sont pas immenses, on peut presque dire miniatures, voire intimes pour compléter le tableau… Travail classique de peinture somme toute avons-nous envie de dire où sont convoqués les principaux constituants de la peinture telle qu’elle a pu être pratiquée depuis pas mal de lustres. Travail tautologique aussi sachant que ses constituants (la toile, la peinture à l’huile, le motif, la conservation) en sont les moteurs principaux.
Mais au-delà des processus et des descriptifs du travail reste l’artiste, la femme, la princesse du logis. Qui est-elle celle qui s’efface et se dissimule derrière ces guipures-fanfreluches-chaussures à talons ? ces robes dessinées/peintes à la va-vite, un peu comme le patron de la couturière, se repentant du vide avant (ou après) d’être prêt-à-porter ? Comment l’artiste peut-il vraiment « habiter » son travail sinon au travers de ce qui fait corps avec son corps ? A parler du travail de Françoise Delot Rolando me revient en mémoire la réalisatrice Sofia Coppola, elle a été assistante du couturier Karl Lagerfeld pendant deux ans et a créé sa propre ligne de vêtements Milk Fred… pour dire l’obsession des chaussures, des fanfreluches et des guipures de son film Marie-Antoinette qui nous dit toute l’affection ou l’excitation qu’a la réalisatrice pour les mannequins, les marionnettes et les poupées (filmiques) en tous genres. C’est vrai que « le mannequin n’est pas une personne, c’était d’abord un objet inanimé en bois, un corps sans tête. » (1) Dans le travail de FDR pourrait-on parler alors de désincarnation ?  ou peut-être les formes anthropomorphes qu’elle conçoit seraient tout simplement là pour que nous puissions, nous homo spectator, les revêtir, ou les habiter.

(1) Marie José Mondzain, la mode, ed. Bayard, 2009