Pour aller dans cette histoire d’entrelacements simultanés de faits de gestes et de pensées qui nous parcourent et nous accablent tout le long des jours sans crier gare Le château des destins croisés serait-il devenu bon an mal an et par la force du destin incontrôlable Le sentier des nids d’araignée ?
Ce jour du 16 octobre 2019 dès le matin 8 heures j’étais au Pérou sur les traces de Bolivar dans le très beau livre Amazonia de Patrick Granville, quand, au détour d’une page de lecture ne voilà-t-il pas qu’une certaine Tina Ratzinger se pointe de son phonème racoleur pour me faire oublier Quito et ses Incas, Aguirre et sa colère mémorable. Tina Ratzinger est un pseudo de Nick Cave dans sa période post-punk, tout à fait écoutable dans son registre ténor-basse moins sucré et nasillard que l’on retrouve plus tard avec les Bad Seeds. Dans le genre Tina, on pourrait aussi se laisser tenter par la voix similaire de Stuart Staples des Tindersticks, qui en passant faisait des musiques de films pour la réalisatrice Claire Denis, et pour aller vite et situer le cinéma de cette personne on se rappellera son film Chocolat de 1988 (tension et désir dans une Afrique qui vit ses derniers moments de colonialisme). A ne pas confondre avec l’autre Chocolat, beaucoup plus crémeux, (c’est vrai que le pourcentage de lait dans les tablettes normales de chocolat Lindt ou Poulain ou Nestlé ou Kinder est mis là de manière outrancière pour finalement nous faire oublier l’amertume déraisonnable du chocolat à 99 % que je chéris et achète (la marque Lindt le fait très bien) sans scrupule au grand dam de ma compagne qui préfère le % fifty-fifty lait-chocolat) à savoir le film britannico-américain de Lasse Hallström avec Juliette Binoche et Johnny Deep (durant le carême, dans un village de France marqué par les traditions et la pesanteur de la religion, une jeune femme et sa fille reprennent la vieille pâtisserie pour ouvrir une chocolaterie). En vérifiant les films Chocolat sur mon téléphone je tombe sur un post de Zoé Sagan (chroniqueuse aigre-douce sur le temps qui passe) qui relate les intempérances de la Fiac parisienne au travers d’un autre post relayé par France Culture (ah bon) d’une certaine Mathilde Serrel titrant qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de l’art contemporain (voilà-t-il pas que l’art contemporain est désormais un royaume haha) titre assez tapageur relayant les injonctions d’un certain Jerry Gogosian vantant les milieux Gossip à la page, histoire d’en rajouter une couche sur les inconvenances entre art-pouvoir-industrie, comme si ça n’existait pas depuis belle lurette !
Il y a quelque temps déjà la critique venait directement des artistes, directement de leur propre travail, de leur mode de faire, désormais l’artiste est mis en vitrine, en cage, en relais, entre parenthèses, son travail est devenu au mieux un prétexte à texte (au moins ça), aujourd’hui la critique vient d’ailleurs, mais plus vraiment des artistes qui doivent attendre leur tour, mais lequel ? ne serait-il pas mieux de (re) prendre ce tour par la force ? les artistes seraient-ils devenus frileux ? ou bien le muselage et la censure seraient-ils trop forts pour faire émerger des idées et des contextes différents ? Il est vrai que tout s’empile, tout se mélange, tout se nivelle, les informations fusent des quatre coins de la terre, un magma indescriptible de données en tous genres se collent sur nos cerveaux comme des mouches noyées dans un pot à lait (voir et revoir le travail des mouches Thousand Years de Damien Hirst). Lire et relire aussi ce superbe texte d’Italo Calvino écrit en 1973 Le château des destins croisés, au hasard cette phrase : « comme dans le monde de l’uniforme, objets et destins se débitent sous tes yeux, tout à la fois interchangeables et immuables, et celui qui croit qu’il décide est dans l’illusion. »
Et cette expression française « être chocolat » qui prend pour origine le jeu de Bonneteau, ce jeu d’argent qui consiste à faire circuler à vive allure un objet parmi des gobelets afin de tromper la personne qui a misé dessus. Le « chocolat » était le complice qui appâtait les joueurs. Par analogie le perdant, friand de gains, se retrouvait alors « Chocolat ». Serions-nous devenus tous chocolat ?
Dans l’excellente rétrospective de Dubuffet à Venise cette année (Palazzo Cavalli-Franchetti) on pouvait lire sur des coupures de journaux de l’époque (1968) des propos légèrement iconoclastes de l’artiste recueillis par Pierre Cabanne. Je cite celui- là pour le plaisir : « Je suis allergique aux musées. Et puis c’est contraire à l’art de voir plusieurs œuvres à la fois. C’est comme si on allait au théâtre voir une demi-heure d’Eschyle, une demi-heure de Racine, une demi-heure de Gogol, etc. »
Et cet autre, toujours pour le plaisir :
« Je considère que les œuvres d’art ne sont pas faites pour les badauds. »