Mondrian figuratif
Musée Marmottan, Paris (12-09-19 / 26-01-2020)

Le nom de Mondrian est automatiquement associé à un motif – la grille noire sur fond blanc avec des rectangles de couleurs primaires – ayant aujourd’hui acquis une telle valeur iconique en histoire de l’art qu’il est toujours présent dans notre inconscient esthétique quand on est face à une peinture de Mondrian quelconque, même n’appartenant pas à sa période abstraite. C’est précisément l’intention de cette expo : montrer l’itinéraire de l’artiste avant le moment fatidique de basculement vers l’abstraction.

Le spectateur d’aujourd’hui qui regarde un Mondrian « d’avant Mondrian » si on peut dire, est mis face au défi de faire abstraction de ce qui vient après, de la rupture qu’on connait, les grilles orthogonales qui sont sa marque de fabrique depuis au moins 1913. Or en quoi consiste ce Mondrian avant la lettre ? Nous voyons d’innocentes peintures de paysages, de vastes étendues vides balayées par le soleil et le vent, de la végétation rendue par de larges coups de pinceau synthétiques. D’autres tableaux figurent quelques fermes, entourées de forêts. Enfin on est surpris par le nombre d’objets verticaux peints par l’artiste : quantité de phares, de tours ou de moulins. Jusqu’ici des paysages très ordinaires dans un style suivant les modes de l’époque, tantôt vaguement impressionniste, tantôt plus personnel avec un rendu coloriste puissant obtenu par des contrastes de plages de couleurs pures.

Mais plus on regarde ces peintures plus nos mécanismes spontanés d’analyse se mettent en action presque sans le vouloir : les ciels des paysages ne sont-ils pas invariablement réalisés par des bandes horizontales très prononcées ? les troncs d’arbre des forêts ne forment-ils pas des motifs verticaux parallèles ? On ajoutera de plus que les motifs verticaux comme les moulins sont un prétexte particulièrement propice à traduire une structure verticale s’opposant aux hachures horizontales du ciel tout autour, de même que les pales du moulin semblent surdéterminer l’orthogonalité de l’espace dans ses axes horizontal et vertical.

Voici donc comment notre esprit est piégé par une lecture « après coup » qui s’impose à nous, déformée par notre connaissance de l’aboutissement postérieur du travail de Mondrian. Car en réalité rien ne justifie qu’un paysage anodin renferme déjà, ou recouvre comme un palimpseste, la structure en grille qui jaillira plus tard dans la conscience de l’artiste.

En somme est-ce que le Paysage néerlandais au moulin est un simple paysage, ou bien est-il hanté par l’obsédante structure en grille ? Une question à laquelle nous ne pourrons jamais répondre puisque notre œil sera toujours biaisé par le fantôme du Mondrian néoplasticien.