Treasures from the Wreck of the Unbelievable.*

Après 10 années d’errance, d’égarements, de remords et d’égocentrisme démesuré, le jeune Scipion se rend dans les palais de son père pour lui exprimer toute sa gratitude et le remercier de ne pas l’avoir abandonné. Il vint à lui les bras chargés de présents et d’ornements en tous genres glanés çà et là sur les marchés d’Afrique. Pour fêter le retour de l’enfant prodige le père eut l’idée de montrer au peuple toutes ces richesses et offrit à son fils ses deux plus belles courtisanes que la sérénissime lui envie. Les tapis rouges ont été déployés et la fête ne fut plus qu’une orgie de débauches et le public présent, peut-être malgré lui, en fut ravi. Le père, magnanime, avisé des caprices et turbulences de son fils chéri, n’était pas dupe de ces cadeaux, et sachant que ces présents et ornements étaient pour la plupart de vulgaires faux, fit semblant de ne rien y voir et fit faire à son insu des copies de ces vulgaires faux utilisant les matériaux les plus précieux tels que l’or, l’argent, le bronze, le granit, le cristal de roche, mais aussi la malachite et le lapis-lazuli ! Il pensa ainsi que l’histoire, la grande histoire, ne pourrait pas être médisante envers les affres de son jeune fils et qu’elle reconnaitrait, à travers la valeur inestimable des objets mis en présence, les talents et la générosité du jeune Scipion.
Mais peut-on défier le temps et les bravades humaines en mettant en avant la valeur de la marchandise plutôt que la marchandise elle-même ?
Je voudrais citer un court passage de l’écrivain John Berger, issu de son discours de 1972 lors de la remise du prix Booker Prize pour son livre ayant pour titre « G » :
« Quand le trafic d’esclaves n’existait pas encore, avant que l’Européen commence à se déshumaniser, et devienne prisonnier de sa propre violence, il y a sûrement eu un moment où les Noirs et les Blancs se sont rapprochés les uns des autres, émerveillés de se trouver potentiellement égaux. Ce moment n’est plus. Désormais, le monde se divise entre esclaves potentiels et maîtres potentiels. L’Européen a introduit cette mentalité dans sa propre société. »
Peut-être en est-il ainsi finalement du rapport entre l’artiste et le collectionneur, et de cette relation insidieuse entre l’art et l’argent ?
Dans tous les cas les rapports entre Damien Hirst et François Pinault sont peut-être de cette sorte-là.

* Punta della Dogana/Palazzo Grassi/Pinault Collection/ Venise
9.IV – 3.XII. 2017