Texte de l’artiste Alina SZAPOCZNIKOW (1926 – 1973, Pologne) tapé à la machine sur une feuille 21×29,7 cm, encadré et accroché au mur à proximité de ses sculptures exposées à la Neue Gallerie à Kassel lors de la Documenta 14.

« J’ai reçu la formation de sculpteur classique.
Mon œuvre puise ses racines dans le métier de la sculpture. Pendant des années je me suis livrée à fond à l’étude des problèmes d’équilibre, de volume, d’espace, d’ombre et de lumière. Pour en arriver à ce que je suis aujourd’hui : rien d’autre qu’un sculpteur qui assiste à la faillite d’une vocation contrariée. Car j’ai assumé la prise de conscience de notre temps. J’ai fait appel à mes connaissances du métier, à mon intuition et à mon intelligence pour constater avec une lucidité accrue la misère de mes moyens par rapport à la technique moderne. J’ai été vaincue par le héros-miracle de notre époque, la machine. A elle la beauté, les révélations, les témoignages, l’enregistrement de l’histoire. A elle enfin les rêves vrais et la demande du public.
Moi je produis des objets maladroits, cette manie absurde et convulsive prouve l’existence d’une glande inconnue et secrète, nécessaire à notre vie. D’accord cette manie peut se réduire à un seul geste, à la portée de nous tous. Mais ce geste se suffit à lui-même, il est la confirmation de notre présence humaine.
Mon geste s’adresse au corps humain, « cette zone érogène totale », à ses sensations les plus vagues et les plus éphémères. Exalter l’éphémère, dans les replis de notre corps, dans les traces de notre passage.
A travers les empreintes du corps j’essaie de fixer dans le polyester transparent les moments fugitifs de la vie, ses paradoxes et son absurde. Mon travail est difficile, la sensation éprouvée de façon immédiate et diffuse étant souvent rebelle à l’identification. Souvent tout est embrouillé, la situation est ambigüe, les limites sensorielles sont effacées.
Malgré tout je persiste à tenter de fixer dans la résine les empreintes de notre corps : je suis convaincue de toutes les manifestations de l’éphémère, le corps humain est la plus vulnérable, l’unique source de toute joie, de toute souffrance et de toute vérité, à cause de son essentiel dénuement, aussi inéluctable qu’inadmissible au niveau de la conscience. »
Alina SZAPOCZNIKOW
mars 1972
92 MALAKOFF
Alina !
Voilà ton texte, qui est beau. Je te le rends à la sauce française, avec un peu de retard. Tu ne m’en voudras pas. Je t’embrasse.
P.R. mars 1973
(annoté par Pierre Restany)

Estate of Alina Szapocznikow / Piotr Stanislawski