Il y a quelques années en arrière, plus exactement en février 2019 nous avions publié dans les Cahiers de Courte-line un article intitulé ProletKult (1) sur les fondations et collections privées à Venise qui fleurissaient comme autant de symboles de puissance et de modernité dans une ville qui se voulaient résolument tournée vers le contemporain faisant écho aux biennales d’art, fleurons de la Sérénissime.

La V-A-C Foundation aux Zattere Venise, à laquelle l’article se consacrait et qui se distinguait par l’originalité de ses propositions d’expositions et par la diversité de ses initiatives ateliers, workshops, cinéma à la façon des Dom Kultury soviétiques, a malheureusement fermé ses portes au vu du contexte politique actuel et il n’est plus l’heure malheureusement de glorifier ces initiatives de la fondation russe. Quand aux autres fondations de prestige, elles vivent désormais au rythme des biennales et drainent un public rompu à tous les événements de l’art contemporain.

Mais aujourd’hui ce n’est pas de Temples ni de Hauts lieux de l’art contemporain que je vous parlerai. J’aimerais vous introduire dans un tout autre lieu, isolé, discret, l’habitation d’un collectionneur privé passionné de livres d’artistes et qui compte dans sa collection un nombre impressionnant d’œuvres originales, d’éditions rares, voire très rares, publiées en quelques exemplaires numérotés. Tiane de Champassak, photographe plasticien, installé depuis quelques années à La Giudecca organise une fois par an dans son appartement-galerie le Studio 454 Venice, en collaboration avec Larisa Oancea historienne de l’art et chercheuse, une exposition d’une sélection de ses livres d’artistes, choisissant pour cela un thème qui permettra de donner une direction à chaque exposition. L’année passée le thème était celui du feu, Burning Matter avec des artistes qui avaient dans leur travail joué avec le feu, pardonnez-moi ce jeu de mot auquel je n’ai pu résister, brûlant leur œuvre ou utilisant la brûlure ; l’exposition abordait les multiples utilisations du feu dans l’histoire du livre d’artiste.  Cette année l’exposition intitulée Folded Cities exploite le thème de l’architecture dans la photographie (en écho avec la biennale de cette année), plus précisément de la représentation de l’architecture urbaine dans la photographie. C’est ainsi que nous est présentée Every building on Sunset trip, 1966, le livre plié/déplié d’Ed Ruscha. Cette idée de la séquentialité existait beaucoup dans la photographie des années 50-70 et de nombreux artistes ont travaillé sur l’idée du parcours, Jan Dibbets et ses perspectives corrigées par exemple, qui a utilisé la photographie pour réaliser des parcours, proposer une autre façon de montrer un espace en images en le dépliant/déployant. Avant les pliures, il y avait les photographies panoramiques impossibles à tenir dans un livre à moins d’être pliées.

La photographie dans les travaux exposés reste un médium froid qui inventorie, enregistre, découpe l’espace-temps, il s’agit plus d’un parcours/déploiement visuel et non d’un parcours nostalgique. Nous sommes assez loin, me semble-t-il, dans cette exposition de la psychogéographie de Guy Debord et de ses cartes des émotions, conçues pour représenter l’espace urbain par rapport à l’expérience affective de chacun, comme matérialisation des états d’âme des individus.

Parmi les œuvres présentées citons-en quelques-unes : le livre de Jan Henderikse Broadway, Uitgeverij Bébert Edition, New york & Rotterdam, 1983, le livre de John Stezaker, The Bridge, Christophe Daviet-Thery éditeur, Paris, 2010, les livres autoproduits d’Edward Ruscha, Thirtyfour Parking Lots, self-published 1967, Nine Swimming Pools and Broken Glass, self published 1968, Some Los Angeles Apartments, self published 1965, Twentysix Gasoline Stations Los Angeles, self published 1962, ou encore le livre de Asger Jorn & Guy Debord Fin de Copenhague, 1957. Tiane de Champassak présente également certaines de ses œuvres, pièces uniques, ou éditions limitées qui répondent et interagissent avec les catalogues exposés, il intervient notamment à partir de la sculpture monumentale de Michael Heizer, City, construite dans le désert du Nevada…

Exposition ouverte du 20 mai au 26 novembre 2023 sur rendez-vous uniquement. studio@champassak.com

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