Chorégraphie de Ohad Naharin avec la Batsheva Dance Company à la Villette, printemps 2023
Pièce chorégraphique éminemment politique, c’est ce qu’on se dit en sortant de la salle après avoir assisté aux circonvolutions bellico-clownesques des 18 danseurs de la Batsheva Dance Company, actuellement dirigée par Ohad Naharin, importante compagnie fondée dans les années 1960 à Tel Aviv par Martha Graham.
Ou du moins on se demande comment, par le simple enchaînement des mouvements corporels chorégraphiés, une dimension politique peut-elle surgir à même le corps des danseurs, si on peut dire, dans une théâtralité qui se passe d’un quelconque texte, bien qu’accompagnée par la bande-son du Kronos Quartet & Laurie Anderson Landfall, qui comporte certaines parties chantées, évocatrices de moments de douceur, alternant avec des moments répétitifs chargés.
On remarque deux styles dansés qui s’opposent sur scène : d’une part quatre danseurs qui exécutent des mouvements austères, à caractère martial, aux postures anguleuses et hiératiques, qui nous font penser aux exercices et aux parades militaires. D’autre part un groupe d’individus désynchronisés, chacun ayant un rôle de soliste, très marqués gender fluid, aux formes et attitudes corporelles disgracieuses au regard de la tradition, déployant des mouvements convulsifs qui paraissent se briser par des mouvements soudains des articulations au cours de l’exécution, au caractère tragi-comique et aux postures innaturelles.
De ces deux dimensions, c’est la partie militarisante de la chorégraphie qui se délite progressivement et devient de moins en moins crédible ; son paroxysme est atteint quand les danseurs-militaires se mettent à quatre pattes les uns derrière les autres et se reniflent les fesses. Cette scène fait notamment penser à certaines performances collectives des années 2000 de l’artiste Paul McCarthy, comme F-Fort (Haus der Kunst, Munich, 2005), qui avait mis en scène une milice armée qui s’adonnait à toutes sortes de jeux sexuels en même temps qu’elle paradait.
Dans les dernières séquences du spectacle, tous les corps des danseurs finissent par être soumis aux cadences saccadées d’une musique évoquant des coups de feu d’artillerie lourde (du moins c’est ce qu’on ressent) de plus en plus resserrés. La position clownesque, à la fois dérisoire, s’exprimant par des mouvements incertains et disloqués, mais néanmoins bouillonnante d’énergie (chorégraphie techniquement très intense), paraît être l’ultime position de résilience face à un contexte auditif inextricable (à bon entendeur).