Il y a parfois des noms, mais cela arrive plus que de coutume, l’air de rien, l’un dans l’autre, il suffit de le dire pour s’en rendre compte, oui, il y a parfois des noms qui nous parlent, sans rien dire de plus, et qui en disent tellement plus que ce qu’ils sont, qui persistent à s’encanailler de manière fantomatique dans les recoins de nos cerveaux jusque tard dans la nuit de nos alphabets identitaires. On peut en citer quelques-uns comme ça sans réfléchir, et hop allons-y pour Chuck Palahniuk – Coco Chanel – Lol V. Stein – Jim Jarmush – Kiki Smith – Kit Karson – Cliff Richard – Kim ki Duck – Luther Blissett – Sam Shepard – Asger Jorn – Urs Lüthi – Pelagio Palagi – Pipilotti Rist – Tom Mix – Stan Laurel – Patti Pravo… c’est vrai que ces hétéronymes polysyllabiques balancent pas mal dans leurs phonétiques enthousiastes où musique et parodie langagière font bon ménage.

Ces MNC (Mots Noms Connus) existent un peu comme des artefacts standardisés par excès de démonstration médiatique, mais aussi parce que justement ces MNC en jettent, ils ont en soi une force, une double-peau, un panache et n’ont point besoin de se forcer pour faire la nique…
Tenez, Wong Cheng Pou, par exemple. Du phonème à toute bringue, ça chante, ça chuinte, et puis ce Pou à la fin ! mais ce nom, chinois, faut-il préciser ? ne résonne pas pour tout le monde, n’étant peu ou pas médiatisé plus que ça en Europe. Macao, le pavillon de Macao à la dernière Biennale de Venise, l’artiste choisi pour représenter l’enclave Macao, c’est lui, Wong Cheng Pou ! D’entrée de jeu j’ai envie de dire que son travail exposé est un peu comme le nom qu’il porte, extravagant, fantasque, poétique, en marge, en retrait, où gazouillis et enfantillage se donnent la main pour nous faire croire aux contes de fées. Pour situer le bonhomme je ferai volontiers référence aux Nouvelles Orientales de Marguerite Yourcenar, en particulier ce petit texte Comment Wan-Fô fut sauvé, je cite au hasard quelques petits bijoux d’écriture: « Le vieux peintre Wang-Fô et son disciple Ling erraient le long des routes du royaume Han ;  ils avançaient lentement, car Wang-Fô s’arrêtait la nuit pour contempler les astres, le jour pour regarder les libellules » ; puis Wang-Fô convoqué par l’empereur : « le Maître Céleste était assis sur un trône de jade, et ses mains étaient ridées comme celle d’un vieillard, bien qu’il eut à peine vingt ans », l’empereur lui explique le pourquoi de sa présence : « Mon père avait rassemblé une collection de tes peintures dans la chambre la plus secrète du palais (…) La nuit, quand je ne parvenais pas à dormir, je les regardais (…) tu m’as fait croire que la mer ressemblait à la vaste nappe d’eau étalée sur tes toiles, si bleue qu’une pierre en y tombant ne peut que se changer en saphir, que les femmes s’ouvraient et se refermaient comme des fleurs, pareilles aux créatures qui s’avancent, poussées par le vent, et que les jeunes guerriers à la taille mince qui veillent dans les forteresses des frontières étaient eux-mêmes des flèches qui pouvaient vous transpercer le cœur… » et ainsi de suite jusqu’à la fin que je vous laisse découvrir en allant voir le texte de plus près…

A travers ces évanescences de langage, qui échappent à une description raisonnée du récit, se pose la question du comment dire, du comment décrire une œuvre, d’art s’il s’en faut.
Les sculptures de l’artiste de Macao sont de cette trempe-là, blanches, lisses, tout juste esquissées, roublardes, naïves, quasi privées d’anecdotes, interchangeables et reproductibles à l’infini. On pense aux Polichinelles de Giandomenico Tiepolo de la Ca’ Rezzonico (nous sommes à Venise), « tantôt serviteurs, tantôt maîtres, tantôt idiots, tantôt malins, allant même jusqu’à changer de sexe et d’unité physique (…) nous n’avons pas à faire à des personnages fixes (…) nous sommes ici face à la présentation de personnalités pour ainsi dire cumulatives » comme le dit Giorgio Agamben dans son essai Polichinelle ou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes. Des personnalités dépersonnalisés en quelques sortes, qui ne seraient là que pour mettre à distance le visiteur, où clonage et formes androïdes seraient les maîtres mots de ces sculptures, à moitiés des logos, à moitié des chromos. Comme des MNC, tous ces noms qui roulent sans amasser mousse, des espèces de repaires transparents et universels, n’étant là que pour nous faire accepter que la réalité pourrait être ailleurs mais qu’elle n’est finalement pas plus que ça. Réalité peuplée d’effigies sans importance, sans lendemain, tout comme ces décalcomanies que l’on peut emporter avec soi à la fin de l’exposition, qui représentent joliment les sculptures exposées de l’artiste de Macao, Wong Cheng Pou, et que l’on pourra coller sur son frigo, son téléphone portable, son coffre de voiture, son poudrier, à vous de voir.