Expo Fujiwara à la Fondation Lafayette Paris, 13 octobre-6 janvier 2019.

L’exposition de Simon Fujiwara se termine en ce moment à la fondation Lafayette, tout récemment réaménagée au début de l’année 2018 par l’un des géants de l’architecture contemporaine Rem Koolhaas. La visite de cette exposition est quelque peu troublante car on perçoit comme un rapport de force entre l’architecte et l’artiste, l’exposant et l’exposé : on se demande lequel des deux créateurs se sert de l’autre pour arriver à ses fins : est-ce que c’est le travail de Fujiwara qui se montre et se met en valeur à travers les espaces Lafayette, comme cela se produit ordinairement pour les expos en général, ou bien est-ce que c’est Koolhaas qui se sert de l’artiste pour mieux imposer la logique de son œuvre ?
L’expo se déploie toute en vertical, dans des salles au plafond bas et oppressant qui limitent notre champ de vision. De plus chaque salle est construite comme une couronne autour d’un centre vide qui peut être occupé par des plateformes mobiles inaccessibles au public, sur lesquelles les œuvres prennent place (ou pas) : au premier étage nous voyons de grandes photographies luminescentes qui montrent une femme faisant de la gymnastique, le tout étant censé réhabiliter l’image d’une prof des beaux-arts qui avait compromis son image publique en paraissant nue dans des revues populaires. Toujours est-il que ces photos prennent place sur la plateforme au centre de l’espace, et le public maintenu à distance tourne tout autour dans la couronne laissée entièrement vide. Le deuxième étage adopte une mise en scène opposée : c’est la couronne, un long couloir mince et de forme carrée qui longe le centre demeuré vide et sombre, qui abrite toute sorte de petits objets exposés sur des socles : de la poudre à maquiller, des sucettes pour enfant, et toutes sortes d’objets domestiques ou quotidiens hétéroclites, qui ensemble ne renvoient à aucune idée cohérente particulière, mais semblent juste vouloir indiquer le grand marché du monde, suivant les cartels de l’expo. Le troisième étage nous met face à une copie de la statue de cire d’Anne Frank du musée de Berlin. Nous voyons cette statue de loin sans qu’on puisse s’en approcher car elle est placée de l’autre coté du centre vide et sombre de la salle : le spectateur et l’œuvre se font face depuis les deux côtés opposés du carré, les passages permettant de faire le tour de la salle sont ici bloqués. Toutes les œuvres exposées paraissent complètement anecdotiques et finalement se dissolvent dans l’espace d’exposition, et là est tout le problème : l’architecture impitoyable de Koolhaas ne fait qu’accentuer la faiblesse des œuvres exposées, celles-ci sont prises au piège de l’esthétique du lieu.
La lumière des salles est d’une blancheur de néon aseptisée et austère, l’étroit couloir du deuxième étage parait tout aussi dévitalisé que le grand espace vide du premier étage destiné au public et qui est mis en vis-à-vis avec le centre infranchissable de la salle où se situent les photographies. Le béton beige et les surfaces blanches des murs du bâtiment confèrent au tout une propreté clinique et une atmosphère presque carcérale. Dès lors les œuvres semblent surtout refléter ces qualités de l’espace, défléchissant leurs contenus vers leur contenant. Faut-il pour autant accuser le travail de Koolhaas ? Bien au contraire : depuis au moins les années 70 l’architecte, qui est aussi théoricien, met en avant toute la dimension perturbante et aliénante des espaces hypertechnologiques et hyperclean où déambule l’homme contemporain. Dans ses textes tels La Ville Générique ou Junkspace l’auteur analyse la nature de ce type d’espaces dévitalisés, anonymes et flottants où les individus perdent leurs repères ainsi que le sens des distinctions structurantes au fondement de leur expérience socio-urbaine, celles de contentant-contenu, de haut-bas, de centre-périphérie. Cette situation ne peut pas être combattue ni rejetée d’une quelconque manière, l’homme ne peut que la subir, acteur et complice d’un tel aménagement de l’espace, qui correspond à l’idéologie du système capitaliste avancé, il doit reconnaitre la « beauté terrifiante du XXIe siècle » (Koolhaas). Ainsi les spectateurs de l’expo parcourent l’espace de la Fondation, constamment marginalisés et repoussés sur les bords du contenant, cherchant à comprendre la signification de l’espace vide au centre du bâtiment, qui leur est inaccessible.