Une écriture doit pouvoir être regardée avant que d’être lue, tant sa capacité graphique évocatrice doit pouvoir nous subjuguer et nous interroger sur ce qu’elle a envie de nous communiquer.
Ma fascination pour l’écriture cyrillique russe ne s’explique pas, il s’agit peut-être de quelque chose d’enfoui dans ma mémoire comme d’un état latent de la pensée et non de la raison, et qui s’exprime par une résurgence de caractères graphiques qui se montrent juste pour configurer un artifice de formes et pour accrocher éventuellement du sens.
Je pose bien sûr la question de la forme et du sens, l’un peut-il induire l’autre à être plus que ce qu’il représente ou ce qu’il est réellement ? Qu’est-ce donc finalement que ces étranges dessins hiéroglyphiques, cyrilliques, mirifiques, qui nous bercent de leur silence nodal puisque incompréhensibles si on ne connait pas leur code d’accès. Mais accéder à ces codes, comprendre et lire ce qui est écrit, reviendrait à ôter à l’écriture ses habits de scène et la déshabiller de ses atours séducteurs. L’écriture est une étrange séductrice, c’est sûr. Lorsqu’elle se découvre et qu’elle se dévêt de son manteau mystificateur , des choses surprenantes peuvent être au rendez-vous.
Lors de l’exposition de ce peintre russe Гелий Михайлович Коржев (Gely Korzhev, 1925-2012 ) à l’université Ca’Foscari de Venise l’année dernière j’avais repéré ces petites phrases écrites en russe par l’artiste et traduites en italien qui accompagnaient l’exposition.
L’ironie de ces phrases s’explique finalement par le caractère fortement engagé de l’artiste ayant travaillé à la fois pendant la période soviétique et après cette période.
La traduction française ici ne nous empêchera pas de penser à notre immédiate contemporanéité.
Артист может быть на службе :
1. mатериальных благ,
2. себя самого,
3. власти,
4. искусства,
5. народа
(последний самый сложный случай)
L’artiste peut être au service :
1. des biens matériels,
2. de soi-même,
3. du pouvoir,
4. de l’art,
5. du peuple,
(ce dernier cas est le plus difficile)
