A Urbino au Palais ducal se trouve une peinture jadis commissionnée par la Cour de Federico di Montefeltro et attribuée à Piero Della Francesca, intitulée Vue de ville idéale, ce tableau questionne encore aujourd’hui, le peintre avait-il fait une étude pour un projet scénographique ou alors devait-il s’en servir comme illustration à son célèbre traité De prospectiva pingendi ? quoi qu’il en soit, il existe deux autres versions de la ville idéale, la seconde se trouve au Walters Art Museum de Baltimore et fut également commissionnée par la Cour d’Urbino, la troisième est à Berlin à la Gemäldegalerie. Trois Villes idéales aux dimensions et aux proportions parfaites, harmonieuses et lointaines, inaccessibles et froides, aux places désertes, des villes figées dans l’éternité.

Nous sommes dans l’idéologie de la Renaissance et l’esprit humaniste du 15ème siècle s’attache avant tout à l’ordre, à la régularité, à la symétrie des formes, à la rigueur des lignes ; c’est l’idée qu’on se faisait de la perfection. Il s’agissait non pas de projets d’architectes attachés à la façon dont les hommes pouvaient vivre et occuper les espaces, mais bien d’une conception utopiste de la ville, envisagée comme expression d’un monde supérieur. Tout y est parfaitement mis en scène, les monuments de l’antiquité, les théâtres, les temples distribués pour accentuer les perspectives, les palais, les édifices publics bien alignés, et les places bien sûr, lieu central par excellence de regroupement, lieu de convergence, de rencontre. Et pourtant ces représentations sont caractérisées par l’absence de figures humaines. A croire que l’homme dans ses déplacements, dans son activité quotidienne, dans son fourmillement fait désordre, dérange en fin de compte. Il constitue l’élément perturbateur. A la toute fin des années 80 la Chine qui était mue par une frénésie de modernisation affichait dans ses villes d’immenses panneaux publicitaires illustrant les villes du futur, les villes immaculées, modernes, faites, selon le modèle occidental, de grands immeubles d’habitation ou de bureaux aux multiples étages, d’avenues et de places désertes. Tel était le rêve chinois, des villes sans personne.

Aujourd’hui que nous sommes confinés chez nous, avec l’obligation de sortir le moins possible sinon dans les cas de stricte nécessité, nous sommes amenés à vivre malgré nous le rêve que personne n’aurait jamais imaginé vivre, celui de nous promener dans des villes désertes, de traverser des places vides, des avenues sans voitures, des canaux sans bateaux à moteur. Nous faisons l’expérience de ce que les humanistes de la renaissance se plaisaient à entrevoir : des utopies urbaines.

Miko Mikado
Avril 2020