L’horizon de recherche actuel de Gladys Nistor a comme épicentre la création combinatoire et modulable de formes géométriques luminescentes dans l’espace. Parallélépipèdes, prismes aux configurations multiples, tétraèdres, ellipses semblent flotter dans l’espace dans une mise en scène minimale où les côtés noirs de la forme constituent les parties dans l’ombre mais également la partie tangible de l’objet, tandis que le blanc en est la partie éclairée mais qui demeure intangible, constituée uniquement de lumière. La présence de ces formes est toujours dialectique : entre la transparence et l’opacité, le tangible et l’impondérable, la présence optique et la représentation mentale. Elles n’existent jamais uniquement dans l’un ou l’autre de ces états, mais toujours dans leur entre-deux.
Ainsi ces formes remettent-elles en question les acquis fondamentaux de notre existence d’individus supposés civilisés : la frontière entre d’une part ce que nous considérons comme extérieur à notre esprit et d’autre part notre matériel psychique qui est encore à l’état embryonnaire et fumeux, entre d’un côté nos pensées accomplies qui se concrétisent dans des actions et de l’autre notre processus d’apprentissage symbolique qui en passe par l’intériorisation progressive d’un système de normes en mesure de nous fournir un cadre pour penser. Les formes que crée Gladys Nistor traduisent un processus d’anamnèse qui nous fait remonter à un temps psychique primaire, celui où, au début de notre existence, nous commencions à peine à nous forger notre schéma de représentation et d’intelligibilité du réel.
L’artiste a souvent qualifié l’ensemble de ces figures géométriques d’« alphabet » : une matrice de formes élémentaires rationnelles que l’on peut recombiner à l’infini pour donner naissance à des archipels visuels complexes et mouvants. Ces séries que l’artiste a pu subsumer sous le titre Aleph traduisent ce dessein de rechercher un principe fondateur qui soit à l’origine de notre acte d’exister, principe qui ne se donnerait jamais comme un dogme venu d’ailleurs, mais plutôt comme un processus intérieur inquiet et instable d’acquisition d’une identité. Ces formes géométriques simples et évanescentes constituent un cadre premier qui assume une valeur structurante pour notre psychisme, qui autrement demeurerait amorphe et muet. La recherche plastique de Gladys Nistor cherche à remonter aux origines les plus lointaines de notre acquisition d’un langage et d’une structure communicationnelle au fondement de notre possibilité de penser.
Visite d’atelier
Pim Enveert
Avril 2020