SMAG
San Marcuola Atelier Galerie Venezia
Ce nouveau lieu d’exposition alternatif est ouvert à des artistes menant dans leur travail une réflexion liée à des thématiques inhérentes à l’art contemporain.
contact : sanmarcuolaateliergalerie@gmail.com
Exposition Del luogo e fuori luogo (d’ici et d’ailleurs) du 10 au 30 octobre 2020
Les artistes invités pour l’exposition Del luogo e fuori luogo présentent un spectre d’œuvres directement tirées du lieu physique, qui sont le résultat d’une analyse phénoménologique méticuleuse de l’espace en tant que contenant en relation avec tous les objets qu’il contient. La maturation de l’idée en rapport avec un lent processus d’observation était nécessaire en raison des spécificités du lieu d’exposition qui n’est pas le white cube classique complètement vide et aseptisé, mais un atelier d’artiste qui contient tous les objets personnels qui font partie du quotidien de la personne qui y vit et y travaille. De sorte que l’espace d’exposition, qui se compose également d’un petit jardin, est entravé par toute une série d’objets qui ne font pas partie des œuvres exposées et qui au contraire contaminent d’une certaine façon l’aspect aseptisé auquel nous avons été habitués à être confrontés dans les lieux institutionnels.
Ainsi les artistes ont été amenés à prendre en compte ces éléments, irrégularités ou intrusions dans le champ visuel et dans l’espace de l’exposition, pour concevoir des interventions qui traduisent d’une part cette symbiose avec le contenant, d’autre part une sorte de frottement avec un lieu déjà habité qui fait obstacle et met à l’épreuve les capacités intellectuelles des spectateurs à reconnaître ce qui est art et ce qui ne l’est pas.
L’artiste coréenne Jiyoun Lee a utilisé des emballages plastique déchirés de produits alimentaires pour créer des frises dans les extrémités supérieures et inférieures des murs de l’atelier. La position des frises est déterminée par la continuité avec les éléments de maçonnerie qui dépassent des murs. L’espace blanc qui sépare les frises prend une importance presque plus grande que ces lignes discrètes, nous obligeant à changer nos automatismes scopiques et à regarder dans les zones marginales de notre champ de vision immédiat. Dans le jardin, l’artiste a placé une grande toile de plastique transparente qui recouvre toutes sortes de fragments de déchets, évoquant une image champêtre, un plan d’eau, renversant son aspect poétique.
L’œuvre Etant données des cigales par l’artiste vénitien Alvise Bittente ressemble également à un rideau en plastique sur lequel ont été dessinées les silhouettes de tous les objets accumulés dans une partie de l’atelier. Cet écran transparent agit comme un doublage bidimensionnel décalé et mis en avant par rapport au motif de référence ; cependant, quelle que soit la capacité de l’œil du spectateur à tenter de faire coïncider les deux plans figuratifs, les formes des objets ne s’harmonisent pas en un point de fuite unique, les perspectives sont disjointes comme dans les espaces de Cézanne, de sorte que la portion du mur devient fragmentaire et méconnaissable quand on regarde à travers ce faux transparent. L’œuvre fait également une référence ironique à la transparence des œuvres de Duchamp comme Double transparent et Etant Donnés : un jeu dans lequel l’acte perceptif du spectateur est perverti par sa position voyeuriste en participant à des scènes érotiques.
Les interventions de Manuela Macco ont le corps comme sujet central, mis en scène à travers une performance et des photographies. Les photographies accrochées au mur sont regroupées autour du titre From Abandoned Works. Les images sont comme des objets résiduels d’œuvres passées, en cours de réalisation, et restées à un stade inachevé. Les images sont recouvertes de « tesselles » de ruban adhésif semi-opaque qui fonctionnent comme une « seconde peau », pour reprendre les paroles de l’artiste, qui recouvrent le corps, rendant parfois sa forme, parfois son identité ou son expression méconnaissables, en lui donnant une consistance fantomatique : précisément un corps «suspendu», tant du point de vue formel que processuel, étant donné la composante réflexive de l’opération qui met en œuvre le processus créatif plutôt que le résultat accompli. Le jour de l’inauguration, l’artiste a également fait une performance lors de laquelle le public regardait (à travers les vitres fermées de l’atelier-galerie) le corps de l’artiste se mouvoir très lentement dans l’espace d’exposition, reléguant les spectateurs au dehors de cet espace les réduisant au statut de simples voyeurs. Manuela Macco montrait du doigt des parties précises de l’espace, sans rien dire, le regard fixe, presque dans un état second, dans une tentative de « désubjectalisation » où elle cherchait à appréhender le sensible d’une manière pré-rationnelle, à se défaire de toute émotivité, dans un processus purement contemplatif.
Le diptyque pictural des artistes A. Aumaitre et Max Gobiet constitue bien « l’ailleurs » de cette exposition, puisque rien ne les relie au temps « contemporain » (les peintures datent du début du XXème siècle). D’autant plus que ces deux peintures sont positionnées au dehors (au sens réel du terme puisque accrochées sur des murs extérieurs), décentrés dirons-nous de l’exposition en elle-même. En découle une réflexion sur le pourtour et le centre, le champ/hors champ, qui serait le sous-titre de cette exposition.
Le dialogue entre ces deux tableaux disposés en face l’un de l’autre mais séparés par un large intervalle génère un scénario fictif dans l’esprit du spectateur dans lequel un homme sans identité, rendu diaphane par le contre-jour, disparaît et réapparaît dans une oscillation sans fin, dans une progression imperceptible vers ce que Lacan a pu appeler le « fading » du sujet.
En conclusion, l’ensemble des œuvres engendrent ce que l’on pourrait définir comme une dialectique entre la transparence et l’obstacle (Starobinski).