Venise devait accueillir cette année la 17ème biennale d’architecture, qui pour les raisons que l’on sait a été reportée à l’année prochaine faisant glisser du même coup la 59ème biennale d’art à 2022. L’air festivalier que l’on respirait cette année était donc sensiblement raréfié. Pour compenser ces espaces-temps vacants les Archives historiques des arts contemporains (ASAC) proposaient depuis le 28 août et jusqu’au 8 décembre 2020 une exposition intitulée Le Muse inquiete, Les muses inquiètes, La biennale de Venise face à l’Histoire.

Les Muses, filles de Zeus et de Mnémosine, la mémoire, qui incarnent les différentes disciplines artistiques sont à Venise au nombre de six et représentent les arts plastiques, la danse, la musique, le cinéma, le théâtre, l’architecture.  L’inquiétude et l’incertitude de notre présent ont conduit à un besoin de s’arrêter et de se retourner sur son passé comme pour voir le chemin accompli. Est-ce de bon augure ? Notre tradition occidentale veut qu’au moment de mourir on voie défiler toute notre vie. Est-ce donc un signe de mort imminente qui a conduit à cette exposition rétrospective, retraçant les biennales et les événements historiques qui ont traversé le 20ème siècle ?

Le cinéma pendant la période du fascisme, les années durant lesquelles la biennale est à la solde de Mussolini, Hitler, Goebbels, où l’art devient un instrument de propagande politique, le pavillon allemand transformé en style néoclassique par l’architecte Ernst Haiger ; la condamnation des formes de musiques expérimentales désignées comme art dégénéré, Kurt Weil, Schonberg, Bela Bartok, Stravinski ; la recherche de nouveaux langages comme le dodécaphonisme désormais bannis.

L’après-guerre, l’arrivée de Peggy Guggenheim à Venise, et les années de la guerre froide, l’opposition entre abstraction et figuration, entre réalisme socialisme et abstraction marquant la culture occidentale. La consécration de l’art américain.

1955, Théâtre La Fenice, Prokofiev, l’Ange de feu, la même année, le rendez-vous manqué avec Berthold Brecht, Mère courage

Puis les années 70 et les engagements politiques à travers les différentes expressions artistiques notamment dans les créations du Living theatre, le théâtre expérimental, Arianne Mnouchkine, les recherches de Meredith Monk… dans le cinéma conçu comme acte de revendication sociale. Bellocchio Au nom du père, les débats autour du rôle du cinéma en présence de Jean-Luc Godard, Marcello Mastroianni, Elio Petri… dans la danse, la danse américaine à Venise, Caroline Carlson, Nikolais, Merce Cunningham ; dans le milieu des années soixante-dix la biennale sort des jardins et des théâtres et se répand dans des zones inexplorées, Othello est présenté dans un espace industriel pétrolier de Porto Marghera, des spectacles se déroulent dans des chantiers navals. Les années soixante-dix sont marquées par les spectacles happening.

Le milieu des années soixante-dix, le coup d’état militaire au Chili dirigé par le général Pinochet en sept 73, les années de plomb en Italie avec les attentats néofascistes de Brescia, du train Italicus, de Bologne…

1980 et la première biennale d’architecture, le post modern, les friches industrielles de l’Arsenal deviennent des espaces d’exposition. La Strada Novissima projetée par des architectes comme Paolo Portoghesi, Franck Gehry, Hans Hollein ou Rem Koolhaas.

La société du spectacle des années 90, Jeff Koons et la Cicciolina. Mais aussi la violence de la guerre civile et du conflit ethnique en Yougoslavie. La performance de Marina Abramovitch Balkan Baroque en 1997.

1999 l’année de la première biennale de la danse.

Que nous reste-t-il pour le 21ème siècle ? vingt ans déjà… et quels idéaux ? quel art ? quelles perspectives ? Une place accordée et un regard porté au reste du monde, l’Afrique, l’Asie… La biennale de 2019 accueille désormais 88 pays officiellement représentés.
Au sortir de l’exposition Le Muse inquiete, en se promenant dans les jardins vides, les pavillons fermés, en déambulant dans les espaces de l’Arsenal, que reste-t-il ? le travail que l’artiste suisse Christoph Büchel a exposé l’année passée pour la 58ème biennale d’art contemporain May you live in interesting times. L’épave d’une barque de migrants coulée en 2015 entre la Libye et le sud de Lampedusa faisant plusieurs centaines de morts. Barca Nostra.