Le Grand Palais et la Galerie Perrotin, en collaboration, ont créé l’événement « Wanted », les 24 et 25 octobre 2020, au Grand Palais.
L’idée de base était de faire fonctionner ce rendez-vous d’art contemporain comme une chasse au trésor. Les visiteurs étaient amenés à se recueillir dans la nef du Grand Palais, étonnés de ne voir non seulement aucune œuvre, mais de trouver l’espace immense de la galerie vitrée complètement vide. Au son de la cloche, les barrières se levaient, la chasse commençait et chaque visiteur se lançait dans l’espace vide de la galerie qui se retrouvait transformée en un labyrinthe fantomatique, sans couloirs ni murs. Pourtant les œuvres étaient bien là : cette chasse fonctionnait par volets, sur deux jours toute la journée. Chaque heure environ, deux ou trois nouvelles œuvres étaient cachées dans les différents recoins formés par les pièces d’architecture du lieu, ou cachées par d’autres subterfuges prévus pour l’occasion. Une fois les œuvres découvertes, l’épisode prenait fin ; les gagnants signaient un certificat d’authenticité et devenaient propriétaires de l’œuvre trouvée. Quant aux autres chasseurs moins chanceux, ils déambulaient encore quelques minutes dans un espace aussitôt désinvesti émotivement, ruminant leur rencontre manquée avec les œuvres avant de s’en aller. Un nouveau groupe de spectateurs était alors invité à entrer pour répéter l’expérience, jusqu’à ce que les 20 œuvres prévues pour l’événement aient été découvertes. La sveltesse du public dans la découverte des œuvres était assez remarquable (10-15 min.), certainement due à la passion brûlante du visiteur pour l’art contemporain.
Quelle que puisse être la composante ludique de l’événement, celui-ci engendre des réflexions sur l’art dignes d’être notées. Les œuvres choisies pour l’occasion n’avaient d’autres points communs que leur format réduit, un « format-valise » (rappelant l’œuvre-valise de Duchamp), pour pouvoir être cachées et ensuite emportées par les visiteurs. Le rapport d’échelle entre les œuvres et leur contenant était ainsi d’autant plus décalé et flagrant. Cette relation de disproportion nous mène à concevoir cette chasse au trésor dans un sens métaphorique où les œuvres disparaissent littéralement à la vue – qu’elles soient volontairement cachées ou pas – dans l’espace gigantesque de la nef. Cet événement questionne donc le rapport contraignant contenant/contenu, et la façon dont les spécificités d’un lieu peuvent modifier, voire étouffer la perception des œuvres qu’il abrite. De même, dans un sens plus institutionnel, cette dynamique nous met face aux contingences pragmatiques dont l’art est dépendant : dans des moments politiques de crise comme celui que nous vivons actuellement, le domaine culturel est le premier touché, ce qui bien-sûr rend l’accès aux œuvres plus difficile. C’est l’autre sens de cette chasse au trésor : le rapport spectateur-œuvre, avant d’être contemplatif face à celle-ci, consistait surtout à pouvoir y accéder au sens littéral. Cette dynamique visait donc à mettre en avant beaucoup plus cette distance entre le spectateur et l’œuvre, que l’œuvre comme objet déjà donné à voir. Evénement qui précisément s’est tenu en lieu et place de la FIAC annulée de cette année ; cette rencontre manquée avec l’art est donc rejouée sur le mode ludique comme réponse à la crise actuelle : pour donner quelques détails, les œuvres cachées étaient en outre toutes enveloppées dans des bulle pack protecteurs, les soustrayant à la vue des visiteurs même une fois trouvées. Le déballage et la remise des œuvres aux vainqueurs se faisaient en haut de l’escalier d’honneur, endroit interdit d’accès aux autres joueurs-participants, créant en quelque sorte une « esthétique de la furtivité ».
Cette initiative fait écho au projet de 2016 des artistes Elmgreen & Dragset, qui avaient exposé pendant une journée le stand de dimensions modestes de la galerie Perrotin dans la nef déserte du Grand Palais, un mois avant l’ouverture officielle de la FIAC. « Wanted » s’avère ainsi un nouveau volet d’une réflexion proposée par Emmanuel Perrotin sur un décalage, à la fois politique et esthétique, qui existe entre l’art, les institutions, et l’œil du spectateur.
En mai dernier, le journal Les cahiers d’art de coutre-line avait publié un dossier ayant pour thème précisément « l’œuvre inaccessible » : il semblerait que cette problématique hante de plus en plus les milieux de l’art contemporain. Nietzsche, en parlant du processus de méditation, employait l’expression de « chemins pensifs » ; aujourd’hui, l’art est peut-être contraint de se frayer un « chemin furtif » pour continuer à exister à un moment où les restrictions se multiplient à tous les niveaux du quotidien de chacun.