Qu’allons-nous nettoyer aujourd’hui ? Léa Martinez artiste, cuisinière, fermière, tracteur opératrice, ostréicultrice, femme de ménage, opératrice de production, couturière…

Elle est là son chiffon à poussière dépassant de sa poche, le seau à côté d’elle et la serpillière à la main tout occupée à laver le sol de la galerie avec application. Discrète et concentrée sur sa tâche, elle ne fait rien pour se faire remarquer, ou pour se donner en spectacle et en effet les visiteurs ne la remarquent pas, tout occupés qu’ils sont à regarder les peintures d’une autre artiste sur les murs. Elle, revendique au contraire un effacement de soi, normal ! une femme de ménage ne doit pas se faire remarquer, ne travaille par pour soi mais pour le compte de quelqu’un d’autre. Une femme de ménage est au service de … En effet, sur un mur prend appui un balai de type Swiffer renversé dont la lingette spécialement brodée par l’artiste indique le nom de l’autre artiste de l’exposition.

Léa Martinez questionne le monde du travail et la place de l’artiste dans la société d’aujourd’hui. Que fait l’artiste lorsqu’elle/il ne prépare pas une exposition, lorsqu’elle/il ne fait pas de résidence ? lorsqu’elle/il n’est pas invité.e à participer à une manifestation artistique ? comment vit-elle/il ? ou plutôt de quoi vit-elle/il ? quels sont ses moyens de subsistance ? Le public se pose rarement la question, l’artiste a rarement envie de parler de ça non plus, elle/il vit cela avec une certaine gêne, de la honte peut-être de ne pas être un.e artiste à temps complet.

Léa Martinez a vécu plusieurs années à l’étranger au cours de ses nombreux voyages en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Indonésie, elle s’est confrontée à toutes sortes de métiers temporaires, saisonniers, avec des contrats à durée déterminée ou sans contrat, confrontée à des conditions de travail totalement variables selon l’économie des pays où elle se trouvait, acceptant cette règle du jeu qui est celle de l’adaptation au milieu ambiant, travailler pour 20 dollars par jour ou pour 20 dollars de l’heure. Elle a aussi réalisé au cours de ses voyages des projets en tant qu’artiste, mais sa conviction est toujours qu’il n’y a pas de rupture entre les deux statuts, ce qu’elle fait en tant qu’artiste est indissociablement lié à son travail-gagne-pain. Autrement dit son travail de subsistance agit un peu comme une matière première, une source où prendra forme son travail d’artiste. Les deux activités sont liées, l’une dépendant de l’autre et vice-versa. Si elle est employée comme femme de ménage dans un grand hôtel, son travail d’artiste sera nécessairement lié à cela. C’est un tout. C’est la revendication d’une visibilité du travail de l’ombre, du travail périphérique. Les gardiens, le personnel de nettoyage des musées ou des centres d’art, quel rôle ont-ils ? font-ils partie du travail de l’artiste ? Quelle valeur donner à leur présence, à leur rôle ? Tino Sehgal pour n’en citer qu’un, avait bien su répondre à cette question en invitant les gardiens du Pavillon allemand de la biennale de Venise de 2003 à devenir directement acteurs de son travail, en les faisant interagir avec le public, chanter et danser à intervalle précis « oh this is so contemporary, contemporary, contemporary… », et par là-même enfreindre les règles conventionnelles de l’exposition et de la place traditionnellement accordée à chacun, public, équipe de gardiens,  travail des artistes exposé. On ne peut s’empêcher bien sûr de penser aussi au travail et à l’engagement politique de l’artiste américaine Mierle Laderman Ukeles qui déjà dans les années soixante-dix dans ses actions performatives interrogeait l’invisibilité des femmes dans l’espace artistique et leur rôle dans la société.


Lea Martinez, San Marcuola Atelier Galerie, Venise, Mai 2021