En montrant sur ma tablette les peintures de l’artiste Claire Soulard à une amie, cette amie me dit je ne saisis pas très bien les formes. Je lui réponds qu’il y a belle lurette que la peinture a fait voler en éclat cette histoire de formes, et que la peinture aujourd’hui n’a que faire de s’assujettir à de quelconques références identitaires prouvant au travers d’une virtuosité mimétique rassurante le statut irréprochable de l’artiste. Le syndrome du réflexe classique de chercher à identifier ce que l’on voit. Même s’il y a des formes il n’y a pas forcément du sens. Ou encore s’il y a du sens il n’y a pas forcément des formes. D’ailleurs le propre des formes c’est qu’elles se déforment, on dira qu’elles sont là pour ça. On se contrefiche que la peinture produise des formes, ou que la peinture produise du sens. La peinture produit de la peinture point !
La personne qui utilise de la peinture se retrouve devant une infinité de solutions. Cette personne a le choix par exemple de laisser la peinture telle quelle dans son contenant. Si elle choisit de transférer la peinture en dehors de son contenant, sur un support x ou y, elle le fera peut-être avec des outils qu’elle aura peut-être choisis ou non. Elle le fera avec parcimonie, avec délicatesse, avec rapidité, avec lenteur, avec détachement, avec précision, avec ardeur, avec violence, en pensant à quelque chose ou en ne pensant à rien, ça va dépendre de son humeur, de son tempérament, du temps qu’il fait ou de l’air qu’elle respire. Elle orientera son geste, sa pensée voire, comme-ci ou comme-ça. Ça donnera quelque chose, ou ça ne donnera rien, peu importe. C’est le bout de temps qu’elle aura passé avec la peinture qui importe. Cela lui aura apporté peut-être du plaisir, de la satisfaction, de la mansuétude, ou bien de la rancœur, de l’amertume. Ça va peut-être l’étonner, la contenter, la sidérer, l’énerver, l’exciter. Elle aura le choix de continuer, de s’arrêter, de rajouter, de recommencer, d’effacer, de jeter. La peinture sera ensuite peut-être accrochée, montrée çà ou là, à un public divers, très varié, qui regardera avec attention, avec mansuétude, avec envie, avec stupeur, bien souvent avec de l’inattention, de l’incompréhension, de l’indifférence. Le public n’a plus la passion de la peinture, parce qu’il ne sait plus la gouter, la déguster, il est trop rassasié, il n’est plus gourmand. Il ne sait plus la regarder, ne sait (veut) plus la voir, le syndrome du déjà-vu l’emporte sur tout le reste. Le public se dit qu’il n’a pas tort, il croit que la peinture est tellement expansionniste ! D’avoir cette pensée, ce discours, cette attitude, c’est se priver du plaisir de regarder, se priver de scruter, de s’enfoncer, de voyager avec une curiosité sans borne dans les strates, les couches, les entrelacs, les entrechats, se priver de savourer les circonvolutions d’une matière en jeu, d’une matière en feu, qui peut vous percer la rétine si vous vous approchez de trop près, tellement que ça peut vous péter à la figure.
C’est ce que je crois des peintures de Claire Soulard.

Claire Soulard, exposition à San Marcuola Atelier Galerie, Venezia, mai 20121