Stop painting, la première chose qui interpelle dans ce titre de l’exposition présentée à la Fondation Prada à Venise, c’est cette esthétique de la contradiction, il y a toujours dans l’esprit de contradiction quelque chose de provocateur, de volontairement en retrait, l’envie de ne pas être en phase, de ne pas être sympathique, l’envie d’agresser ou de contrarier, l’envie de ne pas suivre le mouvement.

L’exposition propose un questionnement sur le pourquoi et le comment peindre au 21 ème siècle. Et pour tenter de répondre à la question, le curateur et artiste Peter Fischli (rappelons le tandem David Weiss/Peter Fischli) nous propose de reparcourir les grands chamboulements de la moitié du 20ème siècle, à travers un choix d’œuvres maitresses à partir desquelles l’histoire de l’art s’est radicalement transformée.

La remise en question de l’acte de peindre et l’expérimentation de techniques et de manières d’aborder la peinture ou plutôt de la détourner, une sorte de mise à mort de la peinture, car la connotation bourgeoise que revêt l’art pictural dans son aptitude même à être « ornemental », dans sa facilité de conservation, d’exposition, de commercialisation, tout cela portera à un refus déclaré de la peinture.

Rupture donc, Rébellion, Refus signent la mort de la peinture dans l’histoire de l’art moderne et contemporain…

Déconstruction, négation, exclusion, gestes iconoclastes.

Peter Fischli propose cinq étapes décisives dans cette réflexion à laquelle il nous convie, qu’il nomme des Ruptures :

Rupture 1 : L’avènement de la photo qui vole à la peinture la prérogative de la représentation, mais surtout anéantit l’idée d’unicité de l’œuvre d’art.

Rupture 2 :  Le Ready-made et le collage qui utilisent des objets ou des images déjà existantes.

Rupture 3 : la mort de l’auteur et de l’authenticité de la création, mise en doute du geste authentique.

Rupture 4 : La parodie du geste pictural comme critique/ refus du geste pictural, Beuys Stop painting !

Rupture 5 : La peinture comme métaphore de la société capitaliste néolibérale.

Pour ne citer que quelques-unes des nombreuses œuvres exposées, retenons l’artiste américaine Adrian Piper dans une de ses premières performances à New York en 1970 où elle peint de blanc les vêtements qu’elle porte en déambulant dans la rue avec une pancarte attachée à son cou « Wet painting »

La peintre américaine Lee Lozano qui abandonne la pratique picturale dans les années 70 pour des projets conceptuels, à travers des extraits de ses carnets contenant annotations et réflexions sur l’art, 1969

Manzoni et son empreinte digitale, 1960.

Niki de Saint Phalle dans sa série Les tirs où armée d’une carabine, elle tire sur des sacs remplis de peinture, qui une fois percés déversent leurs coulures/couleurs. Geste violent et destructeur.

David Hammons qui recouvre la toile de matériaux industriels de récupération ou de toile de plastique coloré, 2008.

Les deux artistes allemands Martin Kippenberger et Albert Oehlen et leur pile de toiles peintes et à peine visibles à travers la porte entrouverte d’un meuble où elles sont enfermées, 1982.

Marcel Broodthears et ses tableaux empilés, 1973.

Asger Jorn et ses peintures détournées, des tableaux figuratifs de composition académique trouvés à la brocante sur lesquels il appose grossièrement son geste pictural, 1959-62.

Pistoletto et sa vitrine où est exposé son vêtement de peintre, 1966.

La liste est loin d’être exhaustive, elle ne donne qu’un modeste aperçu du fourmillement d’œuvres et d’idées contenues dans l’exposition et qui transmet parfaitement l’esprit libertaire et audacieux de l’époque, lorsque soufflait un vent dévastateur et revigorant, chargé malgré tout de semences fécondes prêtes à germer.

Au bout du compte après avoir été décriée, méprisée, ridiculisée, la peinture loin d’en avoir été affaiblie semble avoir eu cette capacité d’adaptation à tous les terrains hostiles qu’elle a traversés, et ressort aujourd’hui au 21ème siècle, plus puissante que jamais, plus opportuniste et marchande que jamais, répondant aux exigences de cette société capitaliste néolibérale dont parle Eve Chiapello et Luc Boltanski dans leur essai Le nouvel esprit du capitalisme.

Stop painting, Fondation Prada, Venise, jusqu’au 21 novembre 2021.
photo de présentation Josh Smith, Untitled, 2012