La 5ème édition du Festival des Bords de Vire en Normandie a été inaugurée ce 17 juillet. Les artistes invités ont travaillé chacun à la conception d’une installation permanente à placer tout le long du chemin de halage qui borde le fleuve de la Vire. Le parcours s’enrichit ainsi d’un deuxième volet d’œuvres permanentes qui viennent s’ajouter à celui de l’édition précédente.

La première génération d’artistes, qui dans le tournant des années 1970 envisageait l’art dans des milieux naturels complètement isolés et déconnectés des espaces urbains, attribuait une importance première au site par rapport à l’œuvre, à l’emploi de matériaux trouvés sur place, et à un certain minimalisme dans les formes ou les empreintes laissées dans le paysage. On pourrait observer que ce type de démarche s’en tenait à une esthétique de la discrétion : les œuvres ne cherchaient jamais à prévaloir sur l’environnement, à s’imposer, à le dominer.

Certes les artistes qui interviennent lors de cette manifestation se sont largement distingués de leurs ainés, notamment dans la création de formes qui viennent directement se greffer au contexte naturel et le remettent en question par leur présence propre ; de même, ils n’hésitent pas à employer des matériaux étrangers au site naturel, alors que les artistes d’il y a cinquante ans privilégiaient souvent des formes « négatives », en soustrayant de la matière au paysage. Certains traits sont cependant communs aux deux générations. En ce sens le Festival des Bords de Vire fait revivre et réactualise ce parti pris artistique de travailler suivant une symbiose art-environnement local, en laissant les nouvelles générations s’exprimer. Concernant notamment l’usage des matériaux, les artistes du Festival qui travaillent avec des matières comme l’acier ou le plâtre adoptent une stratégie de camouflage, de faux-semblant vis-à-vis des formes naturelles à proximité, qui rend la nature du matériau méconnaissable. Cela entraîne un dialogue avec l’environnement d’autant plus fécond qu’il brouille les frontières entre l’organique et l’inorganique, et qu’il propose une réflexion sur les possibilités d’une coexistence entre l’objet manipulé par l’homme et les configurations naturelles. L’œuvre Promenons-nous dans les bois d’Hugo Bel prend la forme d’une entité biomorphique à la nature indéterminée, entre un lichen anormalement développé et une excroissance rocheuse à la structure modulaire tressée. Mathilde Leveau a pensé des formes en acier qui épousent une paroi rocheuse et qui semblent parasiter le terrain en s’y incrustant, dans une esthétique entre mimétisme et contamination. Elparo a conçu de vastes prothèses en bois recyclé qui ont l’apparence de racines qui viennent prolonger la base du tronc de grands chênes. Ces prothèses naturelles s’entremêlent et forment un espace symétrique et semi-clos où l’on peut pénétrer. Xavier Gonzalez présente son installation Les arbres de Noé, où des troncs d’arbres dévitalisés réalisés en acier et semblables à des cheminées d’usines s’encastrent dans une dalle de granit, œuvre fonctionnant comme un objet totémique qui nous mettrait en garde contre les actions mortifères de l’industrie. Haro de Danièle et Maurice Massu Marie est un cube noir réalisé par une multitude de tubes de plastique issus de systèmes d’arrosage de serres, créant une forme compressée qui ne laisse filtrer que d’étroits cylindres de lumière. Philippe André présente deux sculptures d’effigies humaines aux traits archaïques et aux silhouettes étirées et à peine ébauchées. Enfin Antoine Nessi avec Hyperorgane, un assemblage inquiétant de boyaux métalliques dysmorphiques évoquant un corps-machine morcelé, nous offrant la contrepartie viscérale du processus de présentation aseptisé de l’animal dans les supermarchés, nous plonge dans des images de destruction corporelle sauvage.

Vers où convergent toutes ces démarches pourtant si différentes ? Peut-être est-ce dans un certain caractère archaïque, ancestral ou primordial des formes qui est évoqué par les artistes le long du chemin de halage, que l’on peut trouver une posture commune aux artistes qui travaillent dans la nature, toutes générations confondues :  quand l’artiste sort du « confinement d’une pièce rectiligne» (R. Morris) et est confronté à cet espace indéterminé qu’est celui du milieu naturel, il ressent peut-être inconsciemment un besoin anthropologique de renouer avec un stade primitif de son être-au-monde, dans un sens à la fois culturel, formel et biologique.