documenta fifteen, Kassel, Allemagne (18 juin-25 septembre)

Les curateurs de la documenta 15 sont un collectif d’Art indonésien né dans les années 2000 à Djakarta. Ce collectif se nomme Ruangrupa et défend une forme d’art basé sur le partage, c’est pourquoi les travaux présents à Kassel sont pour la plupart le fruit non pas de la production d’artistes individuels mais d’une collectivité travaillant ensemble non pour proposer un produit fini mais pour mener à bien une réflexion sur ce que signifie aujourd’hui être artiste, ce que signifie faire de l’art, de quelle manière, se questionner sur la façon dont les artistes travaillent dans leur ville, dans leur environnement et comment ils peuvent transposer leur pratique à Kassel.

L’idée de base est donc celle du partage, d’une mise en commun d’une somme de réalités qui seront le point de départ d’une démarche de création artistique avec l’idée toujours présente d’une communauté d’idées, de projets et d’expériences.  Leur caractéristique est d’être en constante mutation, et dans cette recherche de circulation permanente le collectif s’élargit en un réseau démultiplié d’autres collectifs qui travaillent dans d’autres pays et avec qui ils se mettent en relation. Il y a cette idée d’extension, non pas d’exclusivité, ni de limitation mais au contraire un mouvement, des groupes qui interagissent, se répondent, font corps. Au total onze collectifs qui eux-mêmes invitent d’autres collectifs ou artistes, sont présents et participent à la documenta, venus du Bangladesh, de la Colombie, d’Afrique du Sud, de Cuba, de Thaïlande, de Chine, de Taiwan, du Congo, du Japon, de la Tunisie, de l’Indonésie ou de la Corée.

Le spectateur se retrouve un peu désorienté, il n’est plus là dans son rôle d’observateur, pour apprécier ou évaluer des produits finis, exposés dans des lieux prévus à cet effet, mais il est tout de suite confronté à des actions collectives, des œuvres en train de se faire, des travaux en gestation, ou encore à des questionnements, des discussions, des récits, des témoignages etc. Il y a d’ailleurs beaucoup à lire, beaucoup à écouter, à déchiffrer. L’impression est celle d’un immense chantier venu d’horizons multiples transposé à Kassel, à l’intérieur duquel on pénètre et que l’on parcourt de part et d’autre de la ville. On a plus l’impression d’entrer dans des ateliers, dans des lieux de travail que dans des espaces d’exposition. C’est ce que proposent par exemple le collectif tunisien El Warcha, un énorme atelier dans le Fridericianum ou encore le collectif no-profit originaire du Bengladesh, Britto Art trust, avec ses architectures légères composées de bambous et de végétaux savamment tressés créant des espaces ombragés, des kitchen-garden où se (re)poser.

L’autre caractéristique de la documenta 15 c’est de se placer sous le signe de l’engagement social, politique, humain. Les collectifs sont en effet tous très engagés dans des réalités liées au déracinement, à la destruction, à la perte, à la violence de l’arrachement et au besoin de (se)reconstruire, de recommencer, de repartir à zéro et de ce fait la documenta 15 devient Lumbung 1, le terme indonésien (emprunté au monde rural) désigne une communauté d’entraide et de partage. On ne peut que citer la magnifique installation vidéo du collectif basé en Syrie, Komina Film A Rojava évoquant le génocide du peuple kurde et le travail de mémoire à travers le chant.

Il y a eu en amont la volonté de la documenta de prendre en compte le refus de la part du collectif indonésien de se plier aux institutions européennes ; Ruangrupa ne voulait pas se conformer à la norme des documentas précédentes. Pas de copier/coller. C’est donc le collectif indonésien qui a invité l’Allemagne à venir voir comment ils existaient à Jakarta et par la suite d’autres pays se sont joints comme par exemple, les Pays bas ou le Danemark et c’est cette extension de Ruangrupa qui deviendra l’équipe artistique.

En ce sens on pourrait presque parler de décolonisation de la pensée, la pensée de l’homme blanc, occidental. Il s’agit ici de remettre en question les fondements même de l’histoire de l’art, et de l’histoire de l’art contemporain. Quels critères d’évaluation, pour décider ce qui est Art et ce qui ne l’est pas ? L’ouverture à la réalité des autres implique qu’on abandonne l’exclusivité de ses propres critères pour envisager différentes façons de produire de l’art. Il est vrai que la frontière entre un travail sociologique, ou témoignant de réalités historiques, politiques et un travail d’artiste se révèle parfois très mince et mal définie. C’est justement ce que posent les collectifs comme principe fondamental de tout acte de création, la nécessité d’abolir les frontières.

 

https://www.youtube.com/watch?v=PDE1KdFnEsg

https://anfenglishmobile.com/culture/rojava-film-commune-releases-new-doc-on-shengal-dengbej-tradition-44619

 

Photo de présentation Marc Giloux, documenta fifteen, Kassel, collectif palestine, peinture, 2022