Au printemps dernier (25 mars au 24 juillet 2022) le Musée d’Art Moderne de Paris présentait la première rétrospective consacrée à Anita Molinero dans une institution parisienne. Cette exposition retraçait les différentes phases de son évolution artistique : des premières œuvres de la fin des années 1980 – certaines, disparues, seront reproduites en photographie – jusqu’à ses dernières réalisations, notamment plusieurs productions réalisées pour l’occasion.

Anita Molinero est l’une des rares artistes françaises de sa génération à s’exprimer exclusivement à travers la sculpture. Souvent monumentales et chaotiques, ses œuvres défigurent des objets usuels et des matériaux triviaux : poubelles, tuyaux d’échappement, fers à béton, polystyrène extrudé et autres rebuts de la société de consommation. Elle transforme la matière dont elle parvient à déployer toute la brutalité et l’instabilité.

Au-delà de la richesse des propositions des sculptures de l’artiste tout le long de cette exposition, je voudrais mentionner la présence des cartels apposés à proximité des œuvres exposées, sorte de petits récits écrits par l’artiste elle-même décrivant à chaud les intentions et partis pris des réalisations des œuvres exposées. En renouvelant d’une certaine façon le statut même du cartel, généralement froid et impersonnel relatant au mieux le titre de l’œuvre, la dimension et la date de fabrication, Anita Molinero ouvre un champ nouveau tout à fait intéressant pour justifier et signaler par ce jeu d’écriture un travail artistique.
Je transcris ici 2 exemples :

 

L’irremplaçable expérience de l’explosion de Smoby, 2010,
cabane en polychlorure de vinyle, bois
400 X 450 X 150 cm
collection Alain Gutharc, Paris

« En revenant de la Biennale de Venise (en 2009), je m’arrête sur l’autoroute pour boire un coup et sur le parking il y avait des maisons pour enfants. Et là, je me suis dit : « c’est génial. J’ai là un objet à échelle 1. » C’est un objet industriel, très froid, très irréel, avec aucune texture, aucune épaisseur. Un objet pour les enfants, à qui on fournit de l’imaginaire bon marché. J’ai donc envie de travailler avec. Je regarde : Smoby en produit. En même temps, je me dis : « c’est un objet qui est en plastique, un objet qui est le monde présent et futur qu’on offre à nos enfants. » C’est-à-dire cette fameuse énergie qui va disparaitre et que l’on préserve le plus longtemps possible dans une imagerie enfantine qui est une projection purement stupide et niaise des parents sur les enfants. J’ai alors travaillé sur ces objets et, quand j’ai commencé à les déformer, tout en pensant évidemment à cette industrie stupide, à cet imaginaire floué, à cette projection sur l’enfant, à la fois innocent avec un objet inoffensif, je me suis dit que, peut-être, je matérialisais leurs cauchemars. Soit qu’ils en aient avec ces maisons, soit que je leur donne l’opportunité de laisser aller leur sentiment perfide. L’école de la vie. Mais en premier lieu, c’est cette imagerie industrielle qui m’a attirée, ce n’est pas du tout le lien à l’enfance en tant que tel. J’ai beaucoup aimé des artistes comme Mike Kelly qui se réfèrent au mauvais enfant qu’ils ont été. »

Sans titre, 2000
Polypropène
125 X 105 X 40 cm
Musée d’art moderne, Paris

« Cette poubelle qui est au musée, qui est en fait un bas-relief, celle-là était déjà faite. Ce n’était pas un ready-made, elle avait été façonnée par les humeurs et les colères de la rue. Tout ce style ornemental que l’on voit a été fait par des gens qui y ont foutu le feu. J’ai trouvé ça magnifique. Je récupèrerais le terme de « style » comme il est employé par les jeunes. Elle a encore du style. C’est aussi un style ornemental, presque des années 1930. Je l’ai déboulonnée, je l’ai récupérée, et j’y ai ajouté ce trou central, qui est un trou extrêmement expressionniste et qui est presque la représentation de la colère, du cri. Cette sculpture a éveillé en moi le sentiment qu’il fallait quelque chose d’incontrôlé, ou qu’une part d’invisible pouvait façonner le travail. »